
Qui peut ou veut encore verdir le monde ?
Dans un contexte mondial marqué par la crise climatique, l’effondrement de la biodiversité et la pollution, l’image d’un monde qui se dessèche devient tristement réelle. Face à cela, qui peut encore verdir le monde ? Qui détient le pouvoir – ou la responsabilité – de restaurer la planète, de lui redonner vie, équilibre et espérance ? Presque partout, les gouvernements imposent des politiques climatiques ambitieuses et contraignantes. Pourtant, selon les experts, elles conduiraient à une hausse des émissions de +9 % d’ici 2030, alors qu’une réduction de près de la moitié est nécessaire pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. Confrontés à des impératifs économiques, des conflits géopolitiques ou des logiques court-termistes, les Etats se voient aussi parfois contraints de réviser leurs ambitions à la baisse. Face à cela, l’Union européenne intensifie ses exigences envers les entreprises. Cette pression réglementaire soulève une question cruciale : les entreprises doivent-elles être les seules à supporter le coût de la transition écologique ? Comment concilier ambition climatique, compétitivité économique et adhésion sociétale dans un contexte où les demi-mesures ne suffisent plus ?
La planète brûle
Le réchauffement est une réalité tangible et en marche rapide, personne ne peut plus le nier. N’en déplaise aux climatosceptiques, les chiffres sont là, implacables. Il ne reste plus que deux ans au budget carbone mondial pour atteindre l’objectif de 1,5 °C, ont averti les scientifiques. Pour l’atteindre, les émissions à partir de 2025 devraient être limitées à 80 milliards de tonnes de CO2, soit 80 % de moins qu’en 2020. Cela est tout bonnement impossible. Actuellement, le monde est sur la voie d’un réchauffement de 2,7 °C, ce qui serait vraiment catastrophique. Partout les phénomènes extrêmes sont en progression : vagues de chaleur de plus en plus fréquentes et intenses ; fonte rapide des glaciers avec en corollaire la montée des océans ; multiplication des tempêtes et ouragans ; et bien sûr déforestation et effondrement de la biodiversité. Face à cette situation alarmante, que faire, et est-il encore temps d’agir ? Car, comme le disait déjà Jean Giono, « protéger la nature, ce n’est pas un luxe, c’est une nécessité ». Mais qui doit agir ? Faut-il attendre des décisions politiques mondiales, compter sur les avancées technologiques, changer nos comportements individuels ? Quoi qu’il en soit, attendre n’est pas une option et chacun doit prendre ses responsabilités.
Que fait l’Europe ?
Troisième pollueur mondial derrière la Chine et les Etats-Unis, l’Europe est aussi le continent qui se réchauffe le plus rapidement. Cela explique, que depuis des années, l’Europe se préoccupe de la planète. La première stratégie d’adaptation de l’Union européenne a été publiée en 2013. L’objectif était de préparer l’Europe aux évolutions du climat dans une approche cohérente et coordonnée. En 2019, Ursula von der Leyen a ensuite présenté le Pacte vert, ou Green Deal, défini comme « la nouvelle stratégie de croissance » de l’UE destinée à réduire les émissions de gaz à effet de serre, « tout en créant des emplois et en améliorant notre qualité de vie ». L’objectif principal du Pacte vert est que l’Europe parvienne à la neutralité climatique à l’horizon 2050. Cœur battant de ce pacte, la loi européenne sur le climat, définitivement adoptée en juin 2021, a fixé l’objectif de neutralité climatique dans la législation européenne, de même que la cible intermédiaire d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030. Par ailleurs, adoptée par le Parlement européen en novembre 2022, la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) est une nouvelle exigence de déclaration des entreprises conçue pour améliorer la qualité, la cohérence et la comparabilité des rapports sur la durabilité des entreprises opérant dans l’Union européenne (UE). Davantage d’entreprises, y compris les PME, seront à l’avenir tenues de communiquer des informations plus complètes et détaillées sur la durabilité.
Mais face aux évolutions sur la scène internationale, suite notamment à la guerre en Ukraine et à l’élection de Donald Trump, l’Europe, sous la pression des Etats et des entreprises soumises à une concurrence de plus en plus rude et à des prix de l’énergie en hausse, a été contrainte de revoir ses ambitions à la baisse. C’est ainsi qu’en février 2025, la Commission a présenté le successeur du Green Deal, le Pacte pour une industrie propre qui mobilisera plus de 100 milliards d’euros pour soutenir la fabrication de produits propres dans l’UE. Si « l’UE maintient ses objectifs du Pacte vert » comme l’affirme Stéphane Séjourné, force est de constater que certains textes ont déjà fait l’objet d’assouplissements et que d’autres pourraient suivre. Dans le même esprit, le 3 avril dernier, le Parlement européen a voté le report de deux ans de l’application de la CSRD pour les entreprises initialement concernées à partir de 2026. L’Union européenne cherche en fait un difficile équilibre entre compétitivité et ambitions climatiques et a décidé de laisser un peu plus d’air aux entreprises, au grand dam des ONG.
Les entreprises face au climat
Les entreprises doivent-elles être les seules à supporter le coût de la transition écologique ? Telle est la question. Bien sûr les entreprises polluent et en vertu du principe du pollueur-payeur, elles ont une responsabilité majeure dans la transition écologique. Elles sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à avoir pris conscience, quels que soient leur secteur d’activité ou leur taille, de la nécessité pour elles de réduire leur empreinte carbone et leurs émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, la Convention des entreprises pour le climat (CEC), lancée en 2020, vise à impliquer de plus en plus le monde économique dans la lutte contre le changement climatique en élaborant chaque année des plans d’action concrets pour réduire leur impact environnemental. Bien sûr, les entreprises disposent de ressources financières, techniques et humaines qui leur permettent d’investir dans la transition. Elles peuvent développer des innovations, améliorer l’efficacité énergétique, revoir leur chaîne d’approvisionnement ou encore produire de manière circulaire etc. Mais, si elles doivent incontestablement assumer une part importante du coût de la transition écologique, leur charge ne peut être exclusive. La complexité et l’ampleur des enjeux exigent une responsabilité partagée entre tous les acteurs. Les pouvoirs publics, les citoyens, les collectivités et les entreprises doivent agir de concert pour réussir cette transition, qui doit être un projet collectif, équitable et solidaire. La transformation des modes de consommation, le développement d’infrastructures durables, l’adoption de comportements responsables sont indispensables sans quoi, les efforts des entreprises risquent d’être vains ou limités. En outre, faire peser tout le coût sur les entreprises pourrait avoir des conséquences négatives : perte de compétitivité, délocalisations, fermetures, et chômage.
Concilier ambition climatique, compétitivité économique et adhésion sociétale
La mise en œuvre de mesures ambitieuses pour réduire les émissions peut entraîner des coûts importants pour les entreprises et avoir des impacts sociaux, qui peuvent alimenter la contestation. Les gilets jaunes en sont la preuve. Sans une juste répartition des coûts et des mesures d’accompagnement, la société peut rejeter les efforts demandés, créant un obstacle politique et social. La réussite des politiques climatiques dépend donc à la fois de l’engagement des citoyens, des entreprises et des collectivités. Des clés existent pour concilier ces trois dimensions : encourager l’innovation et la transition technologique, mettre en place des mécanismes économiques équitables, favoriser le dialogue en impliquant tous les acteurs, promouvoir l’éducation et la sensibilisation. Pour Rexecode, deux voies extrêmes seraient en tout cas sans issue : la recherche de la croissance économique à tout prix, et à l’inverse, la poursuite de trajectoires de décarbonation ne tenant pas suffisamment compte des attentes des Français en termes de progression du pouvoir d’achat et d’emploi. Le rapport Draghi, qui soutient l’ambition climatique de l’Europe, insiste d’ailleurs lui aussi sur les défis associés. Il préconise un équilibre pragmatique entre durabilité environnementale et réalités économiques et sociales.
La transition énergétique, pour nécessaire qu’elle soit, est parfois vue comme un fardeau, Malgré les engagements pris lors de l’Accord de Paris, le changement climatique perd du terrain dans les préoccupations des citoyens et des gouvernements. Entre crises économiques et politiques, il devient crucial de repenser les stratégies face à ce défi mondial majeur, « le plus important
auquel nous faisons face aujourd’hui » selon Ban Ki-Moon. Si la transition est inévitable, elle ne pourra réussir que si elle est perçue comme juste et cohérente. Alors qui peut et qui doit faire quoi pour éviter le pire ? Réponse le 27 août prochain lors du débat « Qui peut ou veut encore verdir le monde ? »