La transition écologique est source d’opportunités, mais aussi de bouleversements, de tensions et de ruptures sur les emplois et les compétences. Elle peut aussi induire des baisses de pouvoir d’achat. Dans ces conditions comment la rendre acceptable ? Comment permettre à chacun de devenir acteur de cette transition plutôt que de la subir et accompagner l’avènement de l’homo-ecologicus pour faire nôtre la maxime de Bergson « l’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire ».
L’humanité vit des heures décisives et la transition écologique est désormais un impératif partagé par tous. Mais on ne change pas de paradigme sans grands bouleversements. Tous les domaines sont à réinventer, l’agriculture, l’industrie, l’énergie, la démocratie, la santé, l’éducation… et bien sûr l’emploi. Tous les métiers vont devoir évoluer pour s’inscrire dans cette transition et comme lors de toute évolution majeure, cela ne se fera hélas pas sans quelques difficultés.
Des emplois vont disparaître…
L’idée reste bien installée, dans certaines franges de la population, que le progrès écologique serait l’ennemi de l’emploi et de la croissance. Du coup, la mise en place de politiques environnementales ambitieuses peut faire l’objet de résistances. Il est vrai que la décarbonisation de l’économie ne se fera pas sans certains dégâts sociaux. Ce serait mentir que de prétendre le contraire. Comme toute révolution majeure des modes de production et de consommation, la transition écologique va bien sûr entraîner des destructions d’emplois dans les secteurs dont les technologies deviennent obsolètes ou trop coûteuses. Mais, peut-on se contenter d’une vision à court terme, ou faut-il au contraire se projeter dans l’avenir et garder une vision schumpéterienne des évolutions en cours pour y voir une destruction créatrice ouvrant la voie à de nouveaux secteurs d’activités et à de nouveaux emplois ?
Car si de nombreux emplois sont condamnés, à l’inverse, d’autres seront engendrés par le développement de nouveaux secteurs d’activité, dans la production d’énergies renouvelables, dans le bâtiment, dans le recyclage des matériaux et la valorisation des déchets, dans l’entretien des équipements qui remplaceront ceux à usage unique ou à obsolescence rapide etc.
…Mais beaucoup d’autres vont naître
Au-delà même de ces nouveaux secteurs, les défis de la transition écologique impactent désormais tous les secteurs d’activité. Bâtiment, transport, économie circulaire, agriculture, éducation, industrie, finance… tout le monde est concerné et partout de nouveaux métiers sont à inventer. De très nombreux analystes s’accordent pour dire que la transition écologique sera créatrice de très nombreux emplois (18 millions de nouveaux emplois d’ici 2030 selon un rapport de l’ONU) et que la balance entre destructions et créations d’emplois penchera nettement en faveur de ces dernières. Qui plus est, nombre de ces emplois ne seront pas délocalisables et seront globalement plus qualifiés que les emplois détruits.
Mais, ces transferts massifs d’emplois induisent de nombreux enjeux en termes de qualifications et de compétences. Une transition écologique juste et acceptée passera forcément par des reconversions accompagnées et réussies et la formation va donc jouer un rôle clé.
Compétences et formation
Comment chacun va-t-il pouvoir mettre ses compétences au service de la transition écologique ? La question est centrale et met en évidence des besoins de formation touchant tous les métiers. Formation initiale et formation continue vont devoir s’adapter pour permettre aux entreprises de trouver les salariés dont elles vont avoir besoin. C’est là une condition sine qua non de la réussite et tout l’enjeu est aujourd’hui d’anticiper les besoins de demain. Le défi est colossal d’autant que la transition écologique se mêle à la transition numérique et qu’en termes de compétences, il va falloir agir conjointement sur les deux fronts.
Et afin de ne laisser personne au bord du chemin, il faudra aussi réfléchir aux moyens de lutter contre l’exclusion des salariés les plus fragiles et les moins formés pour garantir l’acceptabilité des politiques environnementales proposées par les pouvoirs publics.
Donner du sens à son travail
Les Français savent qu’ils ont tous un rôle à jouer dans la transition écologique et ils sont par ailleurs de plus en plus nombreux à vouloir donner du sens à leur travail. Une enquête Kantar de 2019 montrait qu’un Français sur cinq ne percevait ni l’utilité ni le sens de son travail et que 18 % avaient même le sentiment d’occuper un « bullshit job ». Depuis le confinement, ils sont plus que jamais déterminés à changer cette situation et à vouloir s’engager dans des démarches de développement durable à travers leur travail. C’est particulièrement vrai des jeunes générations de plus en plus conscientes des dangers qui pèsent sur la planète. Beaucoup vont jusqu’à refuser désormais de travailler pour des entreprises qui contribuent au réchauffement climatique.
Le rôle du management et du dialogue social
Pour garantir le succès des politiques environnementales des entreprises, le management a bien sûr un rôle essentiel à jouer. Plusieurs études ont montré que les salariés consacrent en effet plus d’efforts pour atteindre les objectifs en matière d’environnement, quand ils perçoivent que ces questions sont importantes aux yeux de leurs dirigeants. Pour diffuser le développement durable auprès des salariés, il faut donc aussi en faire un objet de dialogue social. C’est aujourd’hui vrai dans la plupart des grandes entreprises, mais ce n’est pas encore généralisé à toutes les TPE-PME. Comment en ce cas impliquer plus largement toutes les instances représentatives du personnel dans les problématiques de développement durable pour un dialogue social « gagnant-gagnant » ?
Et le pouvoir d’achat dans tout cela ?
Le mouvement des gilets jaunes l’a bien montré, transition écologique et pouvoir d’achat peuvent constituer une équation difficile à résoudre. Entre « fin du monde » et « fins de mois » difficile souvent de choisir. Pour Pascal Canfin, il est clair que « si la transition écologique est perçue comme une perte de pouvoir d’achat, elle ne se fera pas », une opinion partagée par Michel-Edouard Leclerc qui déclarait récemment au micro d’Europe 1 qu’ « on ne peut faire de l’écologie contre le pouvoir d’achat ». Alors comment concilier les deux ? Même si les consommateurs français montrent encore souvent des préférences d’achat globalement anti-écologiques, en privilégiant les prix bas, plus de la moitié des Français se disent cependant convaincus que transition écologique et pouvoir d’achat sont compatibles. Comment aller plus loin et convaincre les autres. Pour Michel-Edouard Leclerc, « tout ce qui est meilleur pour la planète et la santé, il faut le rendre accessible », et cela doit aussi être porté par la puissance publique notamment pour lutter contre les inégalités qui entravent le développement d’une consommation responsable.
Le XXI e siècle sera-t-il vraiment celui de l’avènement d’homo-ecologicus ? Quelles en sont les conditions et quels en sont les obstacles ? La fin justifie-t-elle les moyens ? Réponse, le 15 avril prochain, lors du débat « Et les hommes dans tout cela ? »