La transition écologique est sans nul doute le défi majeur du XXIème siècle. Désormais tout le monde (ou presque) s’accorde là-dessus. Mais, si c’est un défi pour l’avenir de la planète et de l’humanité, c’en est également un pour l’économie mondiale avec la mobilisation de sommes considérables (270 milliards d’euros supplémentaires par an pour l’Union européenne par exemple). Les finances publiques étant toujours contraintes, comment rassembler ces sommes ? La révolution verte est-elle viable, ou court-on le risque de voir à son tour la volonté de lutter contre le réchauffement climatique et de décarboner l’économie se briser contre le mur de l’argent ?

La transition énergétique a un coût…

Se serait mentir que d’affirmer le contraire. Tenir les objectifs de l’accord de Paris sur le climat pourrait ainsi coûter selon Bercy environ 1000 dollars (890 euros) par an et par habitant.

Financer des modes de production et de consommation plus vertueux demande en effet un effort de tous : l’alimentation biologique est plus chère que celle qui utilise des pesticides ; l’isolation thermique a des répercussions sur les prix de l’immobilier ; une voiture électrique est plus coûteuse qu’un véhicule traditionnel… Tout cela engendre souvent angoisse ou révolte et conduit certains à juger l’écologie « punitive » surtout quand les pouvoirs publics imaginent de nouvelles taxes. Mais faut-il pour autant s’arrêter à ces considérations court-termistes ou au contraire se projeter dans l’avenir et comparer les indéniables surcoûts engendrés par la transition énergétique aux coûts, bien plus considérables encore, de l’inaction.

…mais l’inaction est bien plus chère encore

Si rien n’est fait d’ici 2030, la Croix rouge et le Croissant rouge estiment le coût de l’inaction à au moins 20 milliards de dollars par an pour financer ne serait-ce que l’aide humanitaire aux victimes du dérèglement climatique. Et si en 2050, le climat se réchauffe de plus de 1,5°, les dégâts engendrés coûteront quatre à cinq fois plus cher que les sommes à investir pour limiter ce réchauffement. En 2020, les quinze plus grosses catastrophes climatiques ont coûté au moins 140 milliards de dollars selon l’ONG britannique Christian Aid. Rien qu’en France, l’Etat va devoir débloquer plusieurs centaines de millions d’euros pour reconstruire les villages des Alpes maritimes ravagés par les inondations. Et ce ne sont là que des coups de semonce si l’on en croit les chercheurs de l’université de Warwick, pour qui notre inaction climatique risque de coûter entre 10000 et 50000 milliards de dollars au cours des 200 prochaines années ! Une facture très, très élevée donc qui pèsera particulièrement sur les jeunes générations. D’où la volonté de tous les gouvernements de se saisir du problème, mais les montants alloués sont-ils vraiment à la hauteur des enjeux ?

Les plans de relance suffisent-ils ?

Dès 2009, à Copenhague, les pays développés prenaient l’engagement de mobiliser des milliards de dollars pour lutter contre le réchauffement climatique et pour aider les pays en voie de développement à faire de même. Beaucoup plus récemment, ils ont réaffirmé leur volonté de parvenir à la neutralité carbone et inscrit la transition énergétique dans les plans de relance économique induits par la pandémie de Covid-19. C’est vrai pour Boris Johnson, c’est vrai pour Joe Biden qui, prenant le contrepied de Donald Trump, a annoncé un plan massif pour une transition verte, c’est vrai pour Emmanuel Macron avec la loi climat et c’est vrai bien sûr pour la Commission européenne avec le Green Deal. Personne ne met en doute la nécessité des plans de relance mais quel type de croissance visent-ils in fine ? Les Nations Unies ont estimé, fin 2020, que 18 % seulement des dépenses étaient consacrées au développement d’une économie plus durable. Très en deçà donc des montants nécessaires pour remplir les objectifs de l’Accord de Paris. Les dirigeants d’entreprise sont 88 % à déclarer qu’ils ont une responsabilité dans la transition écologique et sont prêts à faire évoluer leur modèle, mais ils savent très bien que ces évolutions se traduiront, dans un premier temps, par une augmentation significative de leurs coûts et donc par un risque de concurrence défavorable avec les pays moins vertueux. Comment les aider à absorber ces coûts et à trouver le meilleur chemin vers une économie plus « résiliente » ?

Enfin la taxe carbone aux frontières ?

Pour concilier hausse des exigences climatiques et compétitivité, les eurodéputés ont voté le 10 mars dernier en faveur d’une taxe aux frontières pour les produits issus des pays dont les normes environnementales sont moins ambitieuses. Plusieurs pistes sont évoquées, la Commission devrait choisir en juin, et le mécanisme retenu devrait entrer en vigueur d’ici 2023. Derrière l’objectif de lutte contre le réchauffement, l’outil présenterait plusieurs avantages : protéger les entreprises européennes de la concurrence d’usines étrangères dopées aux émissions gratuites et illimitées mais aussi remplir les caisses publiques. Selon sa forme et son périmètre, le système pourrait en effet rapporter chaque année de 5 à 14 milliards d’euros à l’Union. Mais reste à savoir comment réagira l’OMC ?

Et les consommateurs dans tout cela ?

On l’a bien compris, la transition écologique ne se fera pas gratuitement. Mais pour le consommateur qu’en résultera-t-il ? Si 58 % des Français se déclarent aujourd’hui prêts à payer plus cher pour des produits responsables, il y a encore bien souvent un pas entre l’intention et la décision d’achat. On ne compte plus les messages invitant à plus d’écoresponsabilité mais les bonnes volontés s’arrêtent là où commence le pouvoir d’achat. Pour aider les consommateurs à vraiment modifier leurs comportements, les industriels ont incontestablement aussi un rôle à jouer en repensant la manière de concevoir les produits. On acceptera plus volontiers de payer plus cher un produit qui durera plus longtemps et que l’on pourra réparer ou recycler.

Privilégier le long terme

La transition énergétique implique donc des changements de comportements de l’ensemble des acteurs, mais surtout elle implique de privilégier le long terme au court terme et de considérer comme des bénéfices et des investissements pour le futur, certaines dépenses d’aujourd’hui. Nos économies encore dirigées par des logiques de coûts et de concurrence ont parfois du mal à se saisir pleinement des questions environnementales, pourtant reconnues comme une priorité. D’où la nécessité pour la puissance publique d’intervenir pour répartir au mieux les coûts à court terme en attendant de récolter demain des avantages qui profiteront à tous.

Si la transition énergétique va coûter très cher, l’immobilisme serait encore plus onéreux. Les ambitions affichées sont fortes, mais les moyens pour les réaliser sans doute encore trop faibles. Pour répondre à tous ces défis que peuvent et doivent faire, la finance durable, les Etats, l’Europe, les entreprises ? Et au final qui doit payer ? Réponse le 15 avril prochain lors du débat « Et si ce n’était qu’une question d’argent ? »