Le processus de construction permanent est-il un frein à la puissance ?

Plus de 420 millions d’Européens sont appelés à se rendre aux urnes du 6 au 9 juin prochains pour élire leurs 720 eurodéputés. Dans le contexte géopolitique actuel, chaotique et dangereux, ces élections seront scrutées comme jamais dans une Europe à nouveau frappée par la guerre et confrontée un peu partout à la montée des populismes. L’Europe élargie a-t-elle encore les moyens des ambitions de ses pères fondateurs ?

Depuis sa création en 1957, l’Union européenne n’a cessé de s’élargir, passant de 6 à 27 pays membres, à 28 même avant que le Royaume-Uni ne choisisse de quitter l’Union. Les sept vagues successives d’élargissement ont toujours suivi l’évolution de la politique internationale, avec notamment l’intégration de pays issus de l’ancien bloc soviétique, après la chute du mur. Si aucune nouvelle adhésion n’a eu lieu depuis 2013, date d’entrée dans l’Europe de la Croatie, le changement de contexte géopolitique a relancé le processus pour l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, alors que certains pays des Balkans attendent toujours que les portes de l’Europe s’ouvrent enfin pour eux.

Fin août 2023, le président du Conseil européen, Charles Michel, a déclaré que l’Union européenne devait être prête à intégrer de nouveaux membres d’ici 2030. De ce fait, les débats sur l’élargissement ressurgissent. Est-il un frein ou un atout ? Les opinions sont pour le moins tranchées. Aujourd’hui, une dizaine de pays frappent à la porte de l’UE et parmi eux la Turquie. Mais l’Union a-t-elle les moyens de les accueillir sans compromettre le bon fonctionnement de ses institutions et son équilibre ?

Certes les conditions d’entrée dans l’Union sont très strictes, tant sur les plans politique, qu’économique ou institutionnel. Selon l’article 49 du traité sur l’Union, « tout État européen peut demander à devenir membre de l’UE s’il respecte les valeurs démocratiques de l’Union et s’engage à les promouvoir », tout nouveau traité d’adhésion devant être ratifié par les citoyens de tous les Etats membres (dans certains pays par référendum), mais au-delà de cela, l’Union en l’état actuel de ses institutions, est-elle en capacité d’accueillir sans risque de nouveaux membres ? Ou lui faut-il au contraire repenser en profondeur ces institutions ? On a vu, avec l’adhésion des pays de l’Est, comment intégrer des pays économiquement moins développés pouvait engendrer de graves distorsions de concurrence. Et la perspective d’une adhésion de l’Ukraine, par exemple, n’est pas sans inquiéter le monde agricole déjà en grande difficulté. Sur le plan budgétaire également les choses ne sont pas toujours simples, les Etats les plus riches rechignant à payer pour les plus pauvres. Enfin, plus on est nombreux, plus il est difficile de trouver des consensus sur des questions aussi sensibles que la fiscalité, la défense ou la politique étrangère. La Hongrie de Victor Orban en est une parfaite illustration.

L’Union européenne qui est la première zone de production de richesses dans le monde a tous les atouts pour devenir une des toutes premières puissances du XXIème siècle, mais pour cela il est urgent qu’elle parachève sa construction politique et le nouvel élargissement qui se profile rend cette tâche très difficile. Les pays candidats ont d’importantes réformes à mener à bien pour se mettre au niveau des autres pays de l’Union et les tentations nationalistes, exacerbées par le contexte économique et politique international, pourraient mettre en miettes le projet européen. Les vagues successives d’élargissement ont conduit à une multiculturalité croissante qui ne fait qu’exacerber les particularismes nationaux et la tentation de repli sur soi.

Pourtant, comme le signalait Laurence Boone, alors secrétaire d’État chargée de l’Europe, face aux menaces poutiniennes et à la perspective d’un retour de Trump aux Etats-Unis, « l’élargissement contribuera à garantir la sécurité et la puissance du continent européen et la question n’est plus de savoir si nous devons élargir l’Union européenne, ni même quand nous devons le faire, mais bien comment nous devons le faire ».

Mais, pour que l’Europe garde toute sa place sur la scène géopolitique, elle va aussi devoir impérativement développer sa puissance de défense et « renforcer sa dissuasion collective pour assurer les frontières de son espace et affirmer une diplomatie forte à même de peser dans les affaires du monde ». Pour réussir l’élargissement, il faudra aussi renforcer notre convergence économique et sociale, afin de permettre à chacun de se sentir pleinement citoyen européen.

Bien sûr les obstacles sont nombreux, mais l’Union européenne a toujours su surmonter les crises et trouver des solutions collectives faces aux plus grands dangers. L’achat en commun de vaccins a ainsi permis de venir à bout de la pandémie et, face à l’invasion de l’Ukraine, l’Europe a su se mettre d’accord pour se passer du gaz russe. De fait, l’Europe ne cesse de se reconstruire pour avancer. Elle est en chantier permanent. Comme le soulignait Jacques Delors, « l’Europe, c’est comme le vélo, si on arrête de pédaler, on tombe ».  Alors, à l’heure où l’euroscepticisme s’accroît, va-t-on arrêter de pédaler ou affirmer notre puissance ? Réponse le 28 mars prochain lors du débat « Le processus de construction permanent est-il un frein à la puissance ? », avec Peter Altmaier, ancien ministre fédéral allemand de l’Économie et de l’Énergie Pierre Sellal, Sylvain Kahn, historien et géographe, et Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.