#Demos. Mortelles démocraties – L’avenir d’une exception

La démocratie est partout en recul dans le monde. Tel est le constat sans appel du dernier rapport de l’Institut international pour la Démocratie et l’Assistance électorale (IDEA), une organisation intergouvernementale créée en 1995. « Des pays de plus en plus nombreux s’éloignent en effet du système démocratique et penchent vers l’autoritarisme et cela ne vaut pas que pour les Etats jeunes et fragiles, mais aussi pour les pays établis de longue date, comme l’Inde ou les États-Unis d’Amérique ». Ce recul démocratique se traduit par de multiples symptômes : affaiblissement des institutions, négationnisme, complotisme, poussée du populisme et des extrêmes, remise en cause du processus électoral, atteinte aux libertés, etc. Certes, le phénomène n’est pas nouveau, mais les crises multiples qui ont secoué le monde ces dernières années, pandémie, montée des inégalités, crise climatique, guerre en Ukraine, circulation accélérée de la désinformation… ont considérablement noirci le tableau. Dans ce contexte inquiétant, « comment faire de l’humanité un sujet pertinent de la démocratie, alors que seulement 1 % des ressources du monde servent à assurer les droits élémentaires de l’homme et seulement 1 % du budget européen est consacré à la citoyenneté ? », s’interroge Pierre Rosanvallon. Pour Marcel Gauchet, « nous sommes même à la fin du cycle néolibéral ».

La France n’échappe hélas pas à cette tentation anti-démocratique, comme en témoignent les résultats des dernières élections et le désintérêt croissant de nos concitoyens pour la chose publique et l’intérêt général.

Si, comme le montre un sondage Harris Interactive, les Français restent en grande majorité (83 %) attachés à la démocratie, ils se disent profondément déçus par les élus et les institutions. Et 25 % d’entre eux se satisferaient même d’un « régime plus musclé ».

La dernière version du baromètre « Fractures françaises » réalisé par Ipsos, Sopra-Steria, Le Monde, le Cevipof et la Fondation Jean-Jaurès, confirme que « 67% des Français estiment que notre système démocratique fonctionne mal et que leurs idées ne sont pas suffisamment représentées » Pour une majorité de Français, « la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus » et 71 % considèrent que « le personnel politique agit principalement pour ses intérêts propres au détriment de l’intérêt général ».

Comment lutter contre cette « fatigue des démocraties » ? Comment faire en sorte que les classes populaires se sentent moins ignorées et que les citoyens se sentent mieux représentés ? Pour survivre, la démocratie doit impérativement se réinventer.

Rétablir le contrat social

Selon l’IDEA, Il y a urgence à agir pour sauver les régimes démocratiques, la priorité devant être accordée à « la mise en œuvre de stratégies et de politiques qui réduisent la corruption et rétablissent la confiance du public pour rénover les contrats sociaux ». L’institut encourage ainsi à défendre ce qui incarne les sociétés démocratiques : la liberté de la presse, la transparence électorale et l’équilibre des pouvoirs. Il prône également le développement de nouvelles initiatives, comme la mobilisation de la jeunesse ou les assemblées citoyennes, afin de redonner du sens au débat public pour que « la vie de la Cité transcende les seuls intérêts particuliers et permette l’émergence de projets collectifs porteurs d’avenir ».

Si la démocratie représentative demeure la pierre angulaire de notre système, elle a montré ses limites. « Le système électoral-majoritaire reste l’incontournable arbitre de la vie démocratique, souligne Pierre Rosanvallon dans son ouvrage La Légitimité démocratique, mais il ne confère plus aux gouvernants qu’une légitimité instrumentale et conduit à multiplier les oubliés de la représentation. La nécessité de refonder la légitimité des régimes démocratiques s’est donc partout confusément, mais fortement fait ressentir ». C’est pourquoi on voit de plus en plus fleurir des initiatives de démocratie participative : conseils de quartier, comités consultatifs, conseils de jeunes, de sages, de femmes… l’objectif est toujours de favoriser la participation des citoyens à la vie de la Cité et de les associer davantage à la prise de décisions.

Les conventions citoyennes, comme celles sur le climat ou sur la fin de vie en France ou celle sur le mariage homosexuel en Irlande, participent de cette volonté de réinventer la démocratie et de combler le fossé qui ne cesse de se creuser entre les élites et le peuple… avec cependant des succès divers pour le moment.

Une France ingouvernable ?

Pour autant, la France est-elle devenue ingouvernable ? Selon Dominique Reynié, directeur général de Fondapol, « la situation est critique ». Pour lui, « Emmanuel Macron a été élu sous contrainte, face à des choix réputés impossibles, puis réélu exactement dans ces mêmes conditions de barrage (…) Les Français estimant avoir des raisons de sanctionner le pouvoir n’ont pas été en mesure de le faire. Ou bien ils se sont abstenus, ou bien ils se sont obligés à reconduire le pouvoir en place, pour ne pas risquer l’aventure ». Notre pays n’arrive plus qu’à la 24ème place sur 167 pays selon le classement de The Economist et se trouve ainsi relégué dans la catégorie des « démocraties défaillantes ». « Aujourd’hui, la France est le pays d’Europe où les gens font le moins confiance à leurs partis politiques », souligne Camille Bedock du CNRS. Toutes les radiographies électorales montrent que notre démocratie favorise les catégories sociales favorisées, au détriment de toutes les autres, d’où la montée des mécontentements. Et les récents recours massifs au 49.3 ne font rien pour calmer le jeu et rétablir la confiance. Le président de la République et le gouvernement vont-ils finir par entendre les colères et les frustrations pour s’attaquer efficacement aux grands problèmes qui se posent dans un environnement économique et géopolitique compliqué, ou bien la France va-t-elle continuer d’être paralysée par ses divisions internes ?

De la démocratie représentative à la démocratie participative ?

Le sentiment général de beaucoup de Français est qu’ils n’ont pas la capacité d’agir sur les grandes décisions, d’où une aspiration grandissante à plus de démocratie participative et directe. Un sondage de l’institut OpinionWay révèle ainsi que huit Français sur dix souhaitent pouvoir contribuer au changement des règles du jeu politique. Pour éviter que les citoyens déçus se réfugient de plus en plus nombreux dans l’abstention, ou pire qu’ils cherchent à « faire péter le système », des instruments plus fréquents de consultation des citoyens semblent donc nécessaires. Oui, mais lesquels ? Il semble que la préférence des Français aille au référendum d’initiative citoyenne (RIC), suivi par la convention citoyenne et l’assemblée constituante. Pour aller encore plus loin, certains vont jusqu’à souhaiter des Etats généraux de la démocratie, afin que la délibération collective soit la plus large possible.

Quoi qu’il en soi, à l’heure où les principes fondamentaux de la démocratie libérale sont de plus en plus décriés et où les sociétés démocratiques éprouvent de grandes difficultés à répondre aux enjeux mondiaux comme l’insécurité ou le changement climatique, une nouvelle forme de démocratie semble bel et bien à réinventer. Mais comment sauver ce système que Winston Churchill qualifiait « de moins mauvais » ? Les bonnes idées abondent et les pistes sont nombreuses, d’autant que la démocratie a toujours su montrer sa résilience. Alors, comment sortir de la crise de représentativité ? Et quelle nouvelle gouvernance doit-on inventer ? Réponse le 29 août prochain lors du débat #Demos. Mortelles démocraties – L’avenir d’une exception.