La deuxième demi-journée de la REF le 26 août prochain, toujours autour du thème de la liberté, sera consacrée à la notion de renoncement, notion mise en exergue par Arjuna dans le Mahabharata, que Krishna, son guide, va mener sur la voie du renoncement et de l’ascèse. Dans son livre « Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux ? », Roland Gori montre, lui aussi, en se référant à Hannah Arendt, à quel point la liberté dépend de la façon singulière et collective de vivre son rapport à l’Autre. Or, quelle place la société d’aujourd’hui accorde-t-elle à ce rapport ? Quelle place pour la liberté individuelle face à la fureur normative, dans un monde qui met en avant l’idéal collectif ? Renoncer, pense-t-on souvent, c’est se résigner, mais est-ce si sûr ? Certains renoncements ne sont-ils pas indispensables pour avancer ? Autant de questions auxquelles vont tenter de répondre les débats de cette deuxième demi-journée.

La woke culture va-t-elle envahir les entreprises ?

Le premier débat sera consacré à la woke culture et à son impact sur les entreprises. Selon l’analyste anglais Douglas Murray, les trois sources philosophiques du « wokisme » seraient Michel Foucault, Antonio Gramsci et Jacques Derrida, le tout sous l’angle de la « déconstruction » de la pensée occidentale.

Popularisée par les réseaux sociaux, la woke culture, contre laquelle Barack Obama avait mis en garde dès 2019 lors du sommet annuel de sa fondation, se répand partout, au risque de remettre en cause la liberté d’expression – et ce jusque dans les entreprises – comme moyen de lutter contre injustices et inégalités. Les entreprises sont en effet de plus en plus nombreuses à s’engager dans cette voie ; on se souvient par exemple d’Evian, ayant choisi de s’excuser pour avoir fait la promotion de ses eaux minérales en plein Ramadan. On se souvient aussi d’Assa Traoré, chaussée d’escarpins Louboutin, offerts par la marque en solidarité avec la lutte contre les violences policières.

Certes, en France nous n’en sommes pas encore au stade des Etats-Unis, où soutenue par les Gafam, la woke culture envahit vraiment les entreprises qui radicalisent leurs discours. Certains vont jusqu’à dire que le « wokisme », né sur les campus américains, est à la fois anti-libéral et anti-capitaliste et se veut comme une « anti-élite », afin de permettre à chacun d’accéder à la réussite sociale.

Au nom de leur conception de la justice sociale, focalisée sur les critères de race et de genre, les woke veulent censurer et interdire, bannissant au passage humour et dérision. Ecriture inclusive, stages des entreprises américaines pour « devenir moins blancs » etc., dans leur posture combative, les adeptes de la woke culture ne viennent-ils pas menacer tout simplement la liberté d’expression ? Si le « wokisme » progresse un peu partout, cf. les dernières cérémonies des Césars, où en sommes-nous vraiment ? La France et les entreprises françaises résistent-elles ? Et si oui comment ? Et, quand d’aventure elles cèdent à la tentation de la woke-culture, quel intérêt trouvent-elles à emprunter cette voie ? Réponses le 26 août au matin.

La laïcité : nouvelle religion française

Objet de débats sans fin, la laïcité sera le thème de la deuxième table ronde de cette demi-journée. Port du voile, signes religieux en entreprise, loi contre les séparatismes, le respect de la laïcité divise bien souvent les Français. Instituée par la loi de 1905, la séparation des cultes et de l’Etat est, depuis cette date, consubstantielle de notre République. Pour Ferdinand Buisson, Jean Jaurès et Georges Clemenceau, la loi de 1905 devait être une « loi de liberté », liberté de culte notamment. Dans le cadre de la loi de 1905, toutes les religions ont voix au chapitre, en particulier sur les thèmes de société, mais elles sont priées de s’abstenir d’intervenir sur le terrain strictement politique.

Mais, depuis 1989, date de la première controverse sur le port du voile à l’école, et plus encore depuis la vague d’attentats qui a secoué la France, jusqu’au récent assassinat de Samuel Paty, intellectuels et hommes politiques appellent à « une nouvelle laïcité » autour d’enjeux relatifs à la visibilité du religieux (burkini, voile intégral) ou à des problèmes d’ordre éthique ou bioéthique (mariage par tous, PMA etc.) Cela pousse certains à se demander si la laïcité est vraiment laïque ou si elle cherche en fait, sans le dire, à intégrer l’islam comme elle a intégré le christianisme et le judaïsme.

En cherchant à mettre en œuvre une « laïcité intégrale », les laïcistes contemporains sont-ils toujours fidèles à l’esprit de 1905, ne s’éloignent-ils pas de la définition d’Ernest Renan : « L’Etat neutre entre les religions » ? Et qu’en est-il du projet de loi contre le séparatisme et sa batterie de mesures sur la neutralité du service public, que le parlement a adopté définitivement le 23 juillet dernier et que d’aucuns jugent liberticide ? Cette nouvelle loi, qui entend « conforter les principes républicains », vise à affirmer la neutralité des services publics, à lutter contre le terrorisme, à combattre la haine, à renforcer la police des cultes, à mieux contrôler les associations et à rendre obligatoire la scolarisation des enfants dans un établissement scolaire public ou privé (plus d’instruction à domicile donc).

Comme l’a expliqué Emmanuel Macron dans un entretien à la revue Le grand Continent, il s’agit de défendre « les Lumières » et « les valeurs du Vieux Continent ». Dans ce même entretien, le chef de l’Etat s’étonnait également d’un « certain isolement de la France » sur ce terrain. Il est vrai que notre laïcité est souvent mal perçue à l’étranger, où elle est jugée trop intransigeante, voire inefficace. On peut se demander pourquoi et comment s’en sortent les autres pays pour concilier liberté religieuse et cohésion nationale ? Réponses le 26 août au matin.

Liberté d’informer vs liberté de déformer

Médias conventionnels ou non, réseaux sociaux…. Au nom de la liberté d’informer et de la liberté d’expression, piliers de nos démocraties, peut-on tout dire, tout écrire, tout publier ? Vaste sujet qui fera l’objet du troisième débat de la demi-journée. Un sujet qui prend de plus en plus d’ampleur avec les récentes dérives des réseaux sociaux et qui pose la délicate question des nouvelles régulations à mettre en place… sans toutefois aller trop loin.

En France, l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme confère, depuis 1789, une existence juridique à la liberté d’expression : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi ». Une liberté confirmée au niveau européen par la Charte des droits fondamentaux de l’Union en 2000.

Si cette liberté d’expression est très large, elle n’est toutefois pas absolue et certaines limites s’imposent à son exercice, notamment tout ce qui incite à la discrimination ou à la violence. Le respect de ces limites est relativement facile à contrôler en ce qui concerne la presse écrite, dont la loi de 1881 définit les libertés et les responsabilités, ou l’audiovisuel, pour lequel en France le CSA veille depuis 1986. En revanche, c’est beaucoup plus difficile avec les réseaux sociaux.

Avec le déploiement sans précédent de ces réseaux, et surtout leur anonymat, comment les régulateurs peuvent-ils en effet s’adapter pour éviter le déferlement de fake news alimentant tous les complotismes – cf. la campagne électorale de Donald Trump – ? « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. Aujourd’hui ils ont le même droit à la parole qu’un prix Nobel », déplorait peu avant sa mort le regretté Umberto Eco.

Comment vérifier la véracité des propos qu’ils relaient et éviter les déferlements de haine sur Internet avec leurs cohortes de fausses nouvelles, d’incitation au racisme et à toutes les discriminations ou encore d’apologie du terrorisme ? Un observatoire de la haine en ligne a bien été mis en place par le CSA en 2020, mais quels sont ses moyens d’action ? Et les patrons des grands réseaux sociaux sont-ils vraiment prêts à jouer le jeu et à supprimer tous les comptes véhiculant des fausses nouvelles dangereuses et des discours haineux ? Rien n’est moins sûr tant leur profit est également en jeu.

Surtout, jusqu’où réguler sans aller trop loin et sans tomber dans la censure qui entraverait la liberté d’expression ? Desproges ou Coluche pourraient-ils aujourd’hui publier tous leurs textes ? La polémique autour d’un dessin de Xavier Gorce publié par Le Monde a récemment relancé des débats. Rappelons au passage que le blasphème ne constitue plus un délit en France depuis 1791, faudrait-il revenir là-dessus au motif de respecter toutes les croyances ? Les jeunes générations étant les plus perméables aux théories du complot et s’informant essentiellement sur les réseaux, comment les protéger ? L’éducation aux médias peut-elle également être une solution ? Un sujet, on le voit, très complexe, qui promet des débats passionnants.

Souverain pour être libre ?

Souveraineté et liberté des échanges : le couple infernal. De quoi la souveraineté est-elle le nouveau nom ? Protectionnisme ou autonomie stratégique ? Accords avec la Chine, le Royaume-Uni, Mercosur. Et si le monde d’après était le monde d’avant ? L’Europe cesse-t-elle enfin d’être naïve ? La souveraineté sera au cœur du quatrième débat de la demi-journée, souveraineté politique bien sûr, mais aussi souveraineté économique, sujet qui a pris toute son acuité avec la pandémie, qui a vu l’Europe bien démunie pour avoir délocaliser trop de production de biens essentiels. D’où la question de savoir si l’organisation politique du monde actuel, construite autour de la mondialisation libérale et de l’économie de marché, est toujours adaptée aux défis majeurs de notre époque, réchauffement climatique en tête. Un peu partout on appelle à un retour aux notions d’Etat et de souveraineté, voire de protectionnisme. Mais la souveraineté étatique, choix qu’a fait Boris Johnson, nous rend-t-elle plus libres ?

La souveraineté nationale est un principe de la Constitution de 1958 : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 (…) elle appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Transposée au champ économique, la souveraineté de la France que certains politiques appellent fortement de leurs vœux est-elle possible et jusqu’où ? Doit-elle pour autant nous conduire jusqu’à l’autarcie et à l’isolationnisme ? Ne serait-ce pas signer irrémédiablement notre déclin en nous mettant « hors du monde » ? Pour éviter les excès, quel contenu convient-il de donner à notre souveraineté économique, tout en permettant à la France de « croire en son génie » ? Génie civil, nucléaire, technologies numériques, armement, finance, santé, transports, luxe… Nous disposons en effet en France de savoir-faire et de technologies hors normes et de capacités d’innovations. Comment les exploiter au mieux ? Plutôt que de miser sur une souveraineté économique défensive ne vaut-il pas mieux choisir l’offensive autour de la relocalisation de quelques productions essentielles et stratégiques, de rattrapages technologiques et de politiques d’attractivité du territoire ?

Mais surtout, pour rivaliser avec les géants américains et chinois la souveraineté économique ne doit-elle pas se penser au niveau européen plutôt qu’au niveau national ? La Constitution de 1958 stipule d’ailleurs que « la France peut consentir à des limitations de souveraineté lorsqu’elle participe à des engagements internationaux ». A l’aune de la crise sanitaire, l’Europe semble sortie de sa naïveté légendaire en termes de politique commerciale et les Européens ont compris qu’ils devaient bâtir leur autonomie stratégique afin de devenir un véritable acteur international. Fermeté, environnement et ouverture, tels sont les principes fondamentaux de la nouvelle stratégie européenne présentée en février dernier. L’UE entend rester une économie ouverte mais veut également se défendre contre les pratiques commerciales déloyales.

Depuis 2017, Emmanuel Macron plaide pour la « souveraineté européenne » et Ursula von des Leyen lui a donné raison en affirmant à son tour que l’Union était « désormais prête à assumer et renforcer sa puissance ». Reste à savoir si elle saura dépasser les divergences et les craintes de certains de ses membres pour atteindre ce but ?

Roues libres

L’avant dernier débat de la matinée, traitera des nouvelles mobilités. La liberté de mouvement va-t-elle être remise en cause au nom de la préservation de la planète. L’automobile et l’avion de demain seront-ils encore symbole de rêve et de liberté ? La mobilité est au cœur des préoccupations des citoyens, notamment en ville. Face au réchauffement climatique, les métropoles et l’Etat encouragent le développement de « nouvelles mobilités », il suffit de voir la multiplication des vélos et des trottinettes dans Paris pour s’en convaincre. Nul ne nie l’impact des transports sur l’environnement. Ils ne représentaient pas moins de 29 % des émissions de gaz à effet de serre en 2017 en France, dont la moitié émis par les véhicules particuliers. Qui plus est, le transport pèse lourd sur les finances publiques, d’où la quête incessante de solutions alternatives (co-voiturage, électro-mobilité et micro-mobilités).

Mais si la mobilité est un enjeu environnemental, c’est aussi un enjeu économique et social. Est-ce aussi simple de sortir de la civilisation de la voiture, particulièrement dans les zones rurales ? Personne n’a oublié la mobilisation des gilets jaunes face à la menace d’une nouvelle taxe carbone.
Quand on sait qu’en 2050, 70 % des gens vivront en ville et que 27 mégapoles compteront entre 10 et 20 millions d’habitants, on comprend toutefois mieux l’impératif qui pousse à inventer de nouvelles mobilités, d’autant que 47 % des Français se déclarent prêts à abandonner leur voiture si on leur propose d’autres moyens de transport.

Quoi qu’il en soit, en dépit d’un léger recul, la voiture reste dominante et les usages résistent aux changements. Alors comment convaincre et inciter à modifier ses comportements, surtout en dehors des zones urbaines, quand les deux tiers des automobilistes prétendent ne pas avoir d’alternative pour leurs trajets quotidiens, notamment pour se rendre à leur travail ou pour conduire leurs enfants à l’école ?

Et qu’en est-il du transport aérien, secteur particulièrement mis à mal par la crise sanitaire. Pourra-t-on toujours prendre l’avion – réputé particulièrement polluant– en 2050 et si oui, à quoi ressembleront les avions du futur ? Faut-il croire ou pas aux promesses d’avions verts ou faut-il privilégier une réduction de la croissance du trafic ?

Enfin, que penser du tourisme spatial que souhaitent développer Elon Musk, Jeff Bezos ou Richard Branson ? N’est-ce pas un contresens face à l’urgence climatique, quand on connaît l’impact environnemental que peuvent représenter les vols spatiaux, avec environ 4,5 tonnes de CO2 par passager quand, pour respecter l’accord de Paris, chacun d’entre nous devrait produire moins de 2 tonnes de CO2 par an ?

Face à tous ces questionnements, que peuvent faire les consommateurs, mais aussi les entreprises et les pouvoirs publics, pour diminuer l’emprunte carbone des moyens de transport et pour inventer de nouvelles mobilités ? Réponse le 26 août.

Le coût de la liberté

Enfin, dernier débat de la matinée, le coût de la liberté. Quoi qu’il en coûte, interventions publiques tous azimuts, dette géante, nationalisations, contrôle des acquisitions, l’Etat a été là pour sauver l’économie. Alors peut-on/doit-on se libérer de l’Etat ?

Selon Aristote, l’homme est un « animal politique ». Cela implique qu’il s’organise en société dont l’Etat assure le bon fonctionnement. Certes à travers les lois et réglementations qu’il met en place, l’Etat trace les limites de l’obligatoire, du permis et du défendu et peut parfois être un frein à nos libertés individuelles. Nous l’avons âprement constaté au cours de ces dix-huit mois de crise sanitaire. Pour autant, serions-nous plus libres sans l’Etat ?

Comme l’explique Spinoza dans son traité de théologie politique, en nous soumettant aux lois, nous renonçons certes à certaines libertés d’agir, mais en aucun cas à nos libertés de penser et de nous exprimer, en tout cas dans nos démocraties occidentales respectueuses de l’état de droit. Que serait en fait une vie sans Etat soumise au « ni Dieu, ni maître » cher aux anarchistes ? Ne serait-ce pas tout simplement une jungle où régnerait la loi du plus fort ?

Bien sûr, en détenant le « monopole de la violence légitime », selon l’expression de Max Weber, l’Etat peut parfois franchir des limites, ce qui est inacceptable pour certains. C’est un peu ce qu’il se passe avec la mise en place du pass sanitaire.

Mais comment aurions-nous affronté la crise sanitaire sans l’Etat et notamment sans la mise en place du quoi qu’il en coûte, décidé par Emmanuel Macron dès mars 2020 ? Bien sûr à un moment ou à un autre, il faudra rembourser tout cela, mais ce dispositif a permis de sauver des pans entiers de notre économie et d’éviter à notre pays l’apoplexie. Il ne faut pas l’oublier. Pour ses opposants toutefois, la crise a permis à l’Etat de s’immiscer partout et d’étouffer la société, mais comme l’affirmait Margareth Thatcher, « le prix de la liberté n’est-ce pas le sacrifice ? ».