Que nous manque-t-il pour être puissant ?

Si l’UE jouit d’une puissance économique indiscutable : elle occupe aujourd’hui la troisième place mondiale (16,5 % du PIB), à l’horizon 2030, les prévisions de croissance sont annoncées atones. La balance commerciale s’est inversée depuis 2022 : le déficit s’élève à 432 milliards d’euros, en raison de l’explosion des prix de l’énergie et de la dépréciation de l’euro face au dollar. Sur le terrain diplomatique, l’Europe à 27 a des difficultés à jouer un rôle, la politique étrangère européenne devant composer avec celle de chaque Etat, qui garde une souveraineté en ce domaine. Pour Immanuel Wallerstein, sociologue américain mort en 2019, « l’Europe pourrait être une puissance mondiale, mais elle ne l’est pas à cause de son incapacité à résoudre les problèmes politiques européens ».

La nouvelle donne géopolitique rebat aujourd’hui les cartes et ouvre de nouvelles perspectives. L’Europe saura-t-elle s’en saisir ? Pour le général Palomeros, , « l’Europe puissance c’est en effet maintenant ou jamais ». Mais, s’interroge-t-il, l’Union européenne est-elle prête « à prendre son destin en main, à défendre ses valeurs communes, à assumer ses responsabilités devant l’histoire et à proposer une voie originale dans la nouvelle équation géopolitique de ce siècle ? ». Pour le général, la puissance future de l’Europe passe notamment par son autonomie stratégique en matière militaire. Une voie qu’Emmanuel Macron encourage l’ensemble des Européens à suivre. A quelques mois d’une élection américaine qui fait peser des incertitudes sur l’avenir de l’OTAN, la question se pose avec plus d’acuité que jamais.

Bien sûr, l’UE n’est pas un Etat fédéral comme les Etats-Unis ou l’Allemagne, avec une unité de commandement en termes de diplomatie et de défense, mais dans le jeu mondial, l’Europe n’existe que quand elle est unie. Elle a su le démontrer sur le plan économique et commercial ou encore sur le plan environnemental, mais il lui reste beaucoup de chemin à parcourir sur le plan politique et sur le plan de la défense. L’Europe doit en effet comprendre que « sa puissance ne doit pas relever seulement du ‘soft power’ »

L’Europe possède de nombreux atouts liés notamment à son histoire et à ses valeurs. Depuis sa création elle est devenue la plus grande zone de stabilité démocratique dans le monde, pour autant elle continue de souffrir de plusieurs maux, parmi lesquels les tentations nationalistes, qui, un peu partout, resurgissent et nuisent à l’unité, condition nécessaire pour s’affirmer en tant que puissance.

« Cette notion d’Europe puissance, explique la directrice de l’Institut Jacques Delors, Sylvie Matelly, parle plus aujourd’hui qu’elle ne parlait il y encore quelques années, avant le Brexit, avant le Covid, avant la guerre en Ukraine. La France a toujours considéré que l’intégration économique ne suffisait pas à construire une identité européenne. Inévitablement, il fallait penser politique et donc se projeter dans une dimension de puissance ».  Cette notion ne parlait guère aux autres Européens, Allemands en tête, pour qui seule l’économie comptait. Heureusement, les événements extérieurs changent désormais la donne. Mais reste encore à s’entendre sur ce qu’on entend par puissance.

« Le drame, pour les Européens, c’est que dans le monde impitoyable qui est le nôtre, si l’on renonce à devenir une puissance musclée, on finit par se faire bousculer, et malmener, et rançonner », écrit Amin Maalouf dans Le Naufrage des civilisations. Comment l’Europe peut-elle devenir un acteur stratégique et comment convaincre les Européens que l’UE défend leurs intérêts et les protège, alors que la désaffection à l’égard de l’intégration européenne ne fait que s’accentuer ? Des leçons sont sans doute à tirer de la façon dont l’Europe a géré de façon collective la crise du Covid, notamment en ce qui concerne la défense. Les Européens ont tout intérêt à réaliser un effort budgétaire pour répondre aux exigences du nouveau contexte stratégique, comme ils ont su le faire pour l’achat de vaccins, car « sans ambition dans le domaine militaire, la diplomatie européenne ne pourra prétendre à une place de puissance d’équilibre ». Aujourd’hui, nous n’avons plus le choix, il faut avancer : nous ne pourrons pas toujours compter sur la seule protection des Etats-Unis.

Au-delà de la politique et du militaire, une Europe puissance doit aussi construire son autonomie industrielle pour ne plus dépendre autant de la Chine, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Là aussi, la crise du Covid a montré qu’il était grand temps de mettre fin à la désindustrialisation.

Pour faire une Europe puissance, analyse Pierre Moscovici, « il revient aux responsables politiques européens de poser des actes à la hauteur des défis du XXIème siècle, je suis persuadé que l’Europe n’est pas condamnée, comme certains l’affirment voire le souhaitent, à disparaître de l’histoire, mais a un rôle essentiel à jouer dans le monde pour y affirmer ses valeurs et son modèle économique, social, environnemental, culturel et démocratique ».

Alors, l’Europe puissance c’est pour quand ? Réponse le 28 mars lors du débat « Que nous manque-t-il pour être puissant ? »