
Qui va gagner le match des datas ?
La donnée est devenue le pétrole du XXIe siècle. Elle irrigue tous les secteurs, redéfinit les chaînes de valeur, bouscule les souverainetés, crée des dépendances, mais aussi des opportunités immenses. Santé, agriculture, finance, énergie, mobilité, culture : aucun domaine n’échappe à sa révolution. Mais qui dominera cette nouvelle ère ? Qui va gagner le match des datas ?
Un affrontement à plusieurs vitesses
Le match se joue à la fois sur le plan technologique, économique, juridique et géopolitique. Sur le front technologique, les géants américains (Amazon Web Services, Google Cloud, Microsoft Azure) contrôlent plus de 70 % du marché mondial du cloud. Ces plateformes n’hébergent pas seulement des données : elles conditionnent les algorithmes, les usages, les coûts. Par exemple, Netflix a totalement construit sa chaîne de valeur sur Amazon Web Services. Tesla, elle, optimise ses performances en temps réel à partir des données collectées par ses véhicules et traitées en propre.
En Chine, le pouvoir central a structuré l’économie numérique autour d’acteurs comme Alibaba, Baidu ou Huawei, avec un accès privilégié à des données de centaines de millions d’usagers, dans une logique de puissance étatique.
L’Europe, elle, reste technologiquement dépendante. L’initiative Gaia-X, censée structurer un cloud de confiance européen, peine à s’imposer face aux mastodontes mondiaux. Pourtant, certains acteurs résistent : OVHcloud en France ou T-Systems en Allemagne proposent des alternatives crédibles. Mais le chemin est encore long.
Réglementer ne suffit pas
Face à cette domination, l’Europe s’est dotée d’un arsenal juridique solide : RGPD, Data Governance Act, AI Act, Data Act. L’Union européenne veut incarner une voie éthique, centrée sur les droits des citoyens et la souveraineté numérique.
Comme le rappelait Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission européenne entre 2019 et 2024 : « La technologie doit servir les gens, pas l’inverse. »
C’est une ambition noble. Mais elle ne peut être efficace sans contrepartie industrielle. Le risque est réel de devenir un continent qui régule, pendant que les autres innovent.
Prenons l’exemple de la santé. Le développement des médicaments repose désormais sur l’analyse massive de données génétiques, cliniques et comportementales. Les grands groupes américains comme Pfizer ou Moderna ont intégré dans leur R&D des technologies d’IA exploitant des volumes gigantesques de données mondiales. En France, le Health Data Hub devait permettre aux chercheurs d’accéder à ces données de manière encadrée. Mais les retards, les critiques sur l’hébergement initial chez Microsoft, et les lenteurs institutionnelles ont freiné son déploiement.
Autre exemple : dans l’industrie automobile, les constructeurs allemands ont compris qu’il ne suffisait plus de fabriquer des voitures, mais de contrôler la donnée embarquée. C’est pourquoi BMW ou Volkswagen développent leurs propres plateformes logicielles internes, face à la tentation de confier cette couche critique à d’autres.
Une souveraineté économique en jeu
« Tant que les PME européennes n’exploitent pas la donnée comme un actif stratégique, elles resteront dans une logique défensive. » souligne Gilles Babinet
En France, seules 16 % des PME utilisent des outils d’analyse de données avancés (selon l’INSEE). Trop souvent, la donnée est vue comme une contrainte réglementaire ou un coût, alors qu’elle peut être un levier d’efficacité, de différenciation et d’innovation.
Des initiatives existent : la plateforme Agdatahub mutualise les données agricoles entre coopératives, startups et instituts. France Identité, en phase pilote, vise à reprendre la main sur les données personnelles dans les services publics. Des secteurs comme la culture (via les données de fréquentation), l’énergie (via les smart grids) ou la finance (open banking) sont eux aussi en pleine transformation.
Mais ces efforts doivent changer d’échelle.
Le rôle décisif des entreprises
Les entreprises françaises doivent être actrices de leur souveraineté numérique. Cela suppose d’investir dans des infrastructures souveraines et sécurisées, de former les collaborateurs à la culture de la donnée, de créer des alliances sectorielles pour mutualiser les données non concurrentielles (ex : données sur la logistique, les flux d’énergie, les prix de matières premières) et de faire émerger une économie de la donnée responsable.
« Le match des datas, c’est d’abord un match d’ambition. » disait Stéphane Richard, ex-PDG d’Orange.
Conclusion : le match reste ouvert, mais il faut jouer.
Qui va gagner ? Ce n’est pas écrit. Mais si l’Europe ne veut pas être réduite à une zone d’exploitation de données au profit d’acteurs extra-européens, elle doit reprendre l’initiative.
Cela suppose une mobilisation collective : États, entreprises, chercheurs, citoyens. Il ne s’agit pas de rejeter l’ouverture ou l’innovation, mais de construire les conditions d’une confiance durable dans l’écosystème numérique. Rendez vous sur le terrain le 28 août matin.