Que faire de la puissance des mers ?

La planète bleue porte bien son nom ! Les océans abritent plus de 71 % de la surface du globe, plus de 90 % des espèces vivantes et représentent 97 % des ressources en eau.

Ils nous nourrissent, nous soignent, purifient l’air que nous respirons et régulent le climat. En d’autres termes, ils sont les garants de notre survie. Mais cet écosystème fragile est aujourd’hui menacé par l’action de l’homme : pêche industrielle, utilisation des mers comme décharges et pollutions de toutes sortes, exploitation pétrolière offshore, réchauffement climatique du fait des émissions de gaz à effet de serre…, on ne compte plus les excès qui sont en train de tuer l’océan. « Les océans sont au cœur de notre destin et de celui de l’humanité », déclarait Emmanuel Macron lors de la journée mondiale de l’Océan en juin 2023.

La prochaine conférence des Nations unies pour les océans se tiendra à Nice en juin 2025. L’économie bleue, parce qu’elle représente un potentiel de croissance encore inexploité, suscite des convoitises, mais aussi des controverses. Comment exploiter de manière durable la puissance des océans pour répondre aux besoins de l’humanité tout en préservant l’équilibre écologique des écosystèmes marins ?

L’océan, poumon de la planète

Grâce au phytoplancton qui produit environ 50 % de l’oxygène que nous respirons, les océans jouent un rôle écologique majeur. Ils constituent aussi l’un des plus grands puits de carbone de la planète, piégeant de grandes quantités de CO2 atmosphérique et contribuant à atténuer les effets du changement climatique. Malheureusement, les océans se sont progressivement acidifiés depuis la révolution industrielle. Partout les récifs coralliens blanchissent, ce qui a un impact direct sur la survie des crustacés, qui agissent pourtant comme des filtres qui absorbent le dioxyde de carbone en excès et nettoient les océans de leurs polluants. A mesure qu’il stocke des quantités croissantes de chaleur et de CO2, l’océan se réchauffe et affecte à son tour le climat. Ce réchauffement entraîne des répercussions concrètes telles que la fonte des calottes polaires et l’augmentation du niveau de la mer. Comme l’explique la glaciologue Heïdi Sevestre, « nos deux grandes calottes polaires contiennent suffisamment de glace pour augmenter le niveau des océans jusqu’à 65 mètres. On sait qu’une élévation d’un mètre est inévitable. Cela peut arriver d’ici les années 2070 dans le pire des cas. On pourrait même atteindre les trois mètres d’élévation du niveau d’ici le début des années 2100, c’est vraiment cataclysmique car un milliard de personnes habitent entre zéro et dix mètres d’altitude ».

Pour inverser la tendance, nous devons donc impérativement réduire nos émissions de dioxyde de carbone et abaisser la concentration de CO2 dans l’atmosphère. Dans son dernier rapport, le GIEC a présenté un ensemble de solutions appelées « développement climatique résilient », afin de protéger et restaurer les écosystèmes, dont les océans. Il en va de la survie de ces derniers… et de la nôtre.

Un garde-manger menacé

Il y a plus de 3,85 milliards d’années, c’est dans l’océan qu’est apparue la toute première cellule vivante et que la biodiversité a vu le jour et s’est épanouie. L’océan abriterait aujourd’hui plus de 10 millions d’espèces pour la plupart encore inconnues, soit plus de 90 % des espèces vivantes. Beaucoup d’entre elles sont comestibles, ce qui fait de l’océan un garde-manger pour la planète. Les produits de la pêche représentent environ 25 % de la consommation mondiale de protéines animales. Un pourcentage qui monte à 55 % en Asie. Cette importance vitale du poisson est d’autant plus grande qu’une multiplication par deux de la demande est prévue d’ici la fin du siècle. La plupart des espèces de poissons traditionnellement destinées à la consommation sont pourtant d’ores et déjà actuellement exploitées au maximum, quand elles ne sont pas surexploitées, et les stocks mondiaux déclinent. De plus, 20 % des captures mondiales proviennent de la pêche illégale, non déclarée ou non réglementée. La surpêche menace également les grands cétacés de plus en plus nombreux à se prendre dans les filets.

Pourtant, selon les spécialistes, la surpêche pourrait bien être le problème de l’océan le plus simple à résoudre et de nombreuses populations de poissons pourraient être restaurées grâce à une application plus stricte des lois régissant les captures et un recours accru à l’aquaculture ou à l’ensemencement océanique. Bien protégé et géré, l’océan pourrait alors assurer en 2050 deux tiers des besoins alimentaires mondiaux de protéines estimés à 500 millions de tonnes.

Encore faut-il que l’océan reste un milieu sain, or de très nombreuses espèces marines sont aujourd’hui victimes de la pollution des eaux.

Un océan de déchets

Environ 13 millions de tonnes de plastique sont déversées chaque année dans les océans et sont à l’origine de 80 % des débris flottant en surface ou enfouis en profondeur.  Cette pollution est l’un des problèmes majeurs affectant l’environnement marin. Elle accélère directement le changement climatique et menace environ 4000 espèces. Plus de 90 % des oiseaux de mer auraient ainsi des morceaux de plastique dans l’estomac. Les océans contiennent également de gigantesques « continents » de déchets. On estime que le plus grand d’entre eux, baptisé « vortex de déchets du Pacifique nord », s’étend sur une superficie équivalente à trois fois celle de la France. Ces polluants sont ingérés par les poissons, poissons que les humains consomment ensuite, avec, à la clé, de nombreux problèmes sanitaires. Si rien n’est fait, le pire est à craindre, car on estime que la production devrait tripler d’ici 2060. Or, 81 % du plastique produit chaque année devient un déchet qui finit son voyage dans l’océan. A ce rythme, « d’ici 2050, il y aura plus de plastique que de poissons dans l’océan » s’alarment les scientifiques. Heureusement, une prise de conscience s’est amorcée et de nombreuses initiatives ont été prises pour limiter cette pollution. Espérons qu’elles portent rapidement leurs fruits.

Une incroyable réserve d’énergie

De nombreux projets sont en cours pour évaluer les potentialités énergétiques de l’océan. Aujourd’hui, les énergies marines ne représentent que 0.2 % de l’énergie mondiale. Mais si l’on en croit les estimations de la Commission européenne, en utilisant le mouvement de seulement 0.1 % des vagues dans le monde, on pourrait subvenir aux besoins énergétiques de toute la planète.

Les énergies que pourraient fournir l’océan sont toutes des énergies propres. Marées, vagues, courants et même algues.

L’océan qui soigne

L’utilisation des ressources marines pour se soigner remonte à la plus haute antiquité. Egyptiens et Mésopotamiens se servaient déjà d’extraits d’algues et de mollusques pour leurs vertus. Aujourd’hui, les recherches sur les propriétés médicinales de certains organismes marins se poursuivent dans le monde entier. Les particularités de ces organismes en font une réserve inestimable de voies thérapeutiques : agents anticancéreux, antimicrobiens, antiviraux, anti-inflammatoires, antidiabétiques, antihypertenseurs, anticoagulants, antioxydants…. On estime à quelque 25 000 le nombre de produits d’intérêt pharmacologique ou cosmétique déjà obtenus et ce n’est qu’un début. Les premiers travaux significatifs en chimie des substances naturelles marines sont ceux du professeur Werner Bergmann, en 1951, aujourd’hui, la plupart des molécules d’origine marine en développement clinique sont destinées au traitement des cancers ou à la lutte contre les virus. Le futur de notre santé dépend donc directement de celle de l’océan.

La septième nation mondiale

Le poids de l’économie bleue, c’est-à-dire les activités économiques qui dépendent de l’utilisation des ressources côtières et marines, a été évaluée à 1.500 milliards de dollars de valeur ajoutée par l’OCDE, soit 2,5 % de la valeur ajoutée brute mondiale. Si l’océan était un pays, il se situerait au 7ème rang mondial devant des pays comme le Brésil ou la Russie. Les océans, c’est 15 % de l’apport calorique mondial. 3.5 milliards de personnes en dépendent pour leur source primaire d’alimentation. 80 % des marchandises vendues dans le monde ont traversé les océans et près de 60 millions de personnes ont un emploi directement lié à l’océan sans compter tous ceux qui en dépendent économiquement.

La santé des océans est donc primordiale pour la croissance, or, aujourd’hui, nous l’avons vu, de nombreuses menaces la mettent en péril. La France qui possède le deuxième domaine maritime du monde a incontestablement un rôle majeur à jouer dans les discussions internationales au sujet de la protection des océans. La troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan se tiendra d’ailleurs à Nice en juin prochain.

Il va, bien sûr, falloir des financements importants pour développer une économie bleue durable, mais les enjeux sous-jacents sont forts, car l’économie bleue permet tout à la fois de stimuler l’innovation, de créer des emplois et de lutter contre le changement climatique.

Pendant des siècles, l’humanité a agi comme si mers et océans étaient des ressources inépuisables, capables de nous nourrir et d’absorber tous nos déchets. Il n’en est rien. Comme l’explique Isabelle Autissier, présidente d’honneur du WWF France, « aujourd’hui, nos océans sont à bout de souffle et nous sommes tous concernés. Il est encore temps d’agir pour limiter les pressions pesant sur les océans et inverser la tendance : des solutions existent et nous pouvons ensemble les mettre en œuvre ! ». Lesquelles et comment ?

Réponse le mardi 27 août lors du débat « Que faire de la puissance des mers ?