Quand la science change le monde

Les avancées scientifiques et technologiques modifient profondément notre compréhension du monde et ont un impact significatif sur tous les aspects de la société. Cependant, ces avancées ne sont pas toujours sans défis. Elles soulèvent des questions éthiques, sociales et environnementales majeures. La science et la technologie ont-elles toujours le pouvoir de transformer le monde de manière positive ou faut-il parfois s’en méfier ? « La technologie est une arme utile, mais une arme redoutable », disait déjà Franklin D. Roosevelt. En 2024, qu’en est-il ?

Des avancées scientifiques qui vont révolutionner le monde

La science mondiale progresse à pas de géant et des événements scientifiques d’ampleur s’annoncent. Des missions vers la lune ont été ou vont être lancées ; notre compréhension de l’univers progresse grâce aux performances des télescopes spatiaux comme le JWST ou Euclid ; d’autres vaccins nouvelle génération sont en cours de développement après le succès des vaccins à ARN messager lors de la pandémie ; la thérapie par modification génétique progresse ; les promesses des anticorps monoclonaux se confirment ; la physique des particules fait des pas de géant ; l’intelligence artificielle ne cesse de se développer… On pourrait démultiplier les exemples.

Comme à chaque époque, le monde évolue grâce à la science et au progrès technologique et les grands pays se livrent une concurrence éperdue pour être les premiers. La science chinoise bouscule ainsi les hiérarchies établies au siècle dernier et pointe désormais à la deuxième place derrière les Etats-Unis en nombre de publications scientifiques. Le Japon recule, des pays comme l’Inde, l’Iran, la Corée du Sud émergent et la France occupe la 7ème place. La science s’internationalise également de plus en plus et les scientifiques collaborent de plus en plus au-delà des frontières.

Tout cela est riche de promesses, mais peut-on faire aveuglément confiance à la science pour assurer à tous un avenir meilleur ou doit-on aussi s’en méfier ?

L’exemple de l’IA

Le développement de l’intelligence artificielle (IA) qui envahit petit à petit tous les domaines et tous les secteurs d’activité est, plus peut-être que toute autre avancée technologique, associé à la fois à des opportunités et à des défis. L’IA fait souvent peur en raison des menaces qu’elle fait peser sur l’éducation, sur l’emploi, sur la gouvernance des organisations, etc. Il est toutefois évident que l’IA aura une incidence sur l’évolution de nos sociétés. Pour 77 % des Français, elle va changer le monde tel que nous le connaissons et, de ce fait, devra être fortement réglementée.

Une étude d’EY France sur les futures évolutions géopolitiques met en lumière l’ascension fulgurante de l’IA, non seulement « comme outil de progrès mais aussi comme futur champ de bataille pour les puissances mondiales ». L’intelligence artificielle est en effet rapidement devenue un élément central de la puissance et de l’influence des nations. Les grandes puissances, comme les États-Unis, la Chine, la Russie ou l’Union européenne, investissent massivement dans la recherche pour la développer. Au-delà de ses aspects économiques et technologiques, l’IA est également devenue un outil de soft power, influençant la diplomatie, la défense et le commerce international. Particulièrement redoutée en termes de cybersécurité, elle pose de nouveaux défis en matière de réglementation internationale. Les organisations internationales, comme l’ONU ou le G20, commencent à intégrer l’IA dans leurs agendas, cherchant à établir des cadres réglementaires et des normes éthiques.

« La réglementation de l’IA, bien que complexe, offre une opportunité unique de réorienter le progrès technologique vers des fins plus humaines, équitables et durables. Elle nous challenge à penser différemment l’innovation, non seulement en termes de ce qui est technologiquement possible, mais aussi de ce qui est éthiquement souhaitable et socialement bénéfique ». Il est impératif que les pouvoirs publics, les entreprises, les chercheurs et les citoyens travaillent ensemble pour façonner une trajectoire où l’IA ne se contente pas d’améliorer l’efficacité et la productivité, mais renforce nos sociétés et protège notre planète.

Les rapports de la science et de l’éthique

La science a considérablement amélioré la condition de l’humanité et contribué à l’accroissement du bien-être mondial. Elle a aidé à relever les grands défis lancés aux sociétés humaines et elle continuera de le faire. Pourtant, certaines des applications de la recherche induisent des risques graves et irréversibles pour les générations futures et il est parfois difficile d’apprécier les conséquences de certaines recherches novatrices, par exemple dans les domaines de la génétique, du numérique ou de l’intelligence artificielle, qui comportent souvent des risques encore peu explorés. D’où l’importance de tenir compte des problèmes éthiques que ces domaines de recherche peuvent poser.

Les relations entre la science, la morale et l’éthique ont fait l’objet d’intenses débats dès le VIème siècle avant notre ère. Dans une vision très idéaliste, Socrate avançait que « seule l’ignorance conduit au mal alors que, à l’inverse, la lumière de la Vérité éclaire le chemin du Bien et évite les égarements mauvais ». Protagoras était d’un avis adverse et, vingt siècles plus tard, Rabelais, suivant Protagoras, déclarera que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Les polémiques entre éthique et science se sont encore accrues dans la deuxième partie du XXème siècle, suite à la deuxième guerre mondiale et aux horreurs commises par les médecins nazis, avec comme aboutissement l’établissement de codes de conduite déontologique. De nos jours, les frontières entre recherche fondamentale et recherche appliquée sont devenues de plus en plus ténues, favorisant l’émergence de questions éthiques à des stades de plus en plus précoces. L’éthique et la science seront-elles moins conflictuelles au XXIème siècle ? Il est difficile d’y répondre. Mais la Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies, mise en place par l’Unesco, se penche sur ces questions et a inscrit à son programme de travail 2024-2025 les thèmes suivants :  l’éthique de la recherche, du développement et du déploiement des technologies de l’informatique quantique, en s’appuyant sur ses travaux relatifs à l’éthique des technologies émergentes, notamment l’intelligence artificielle, la robotique et l’internet des objets, ainsi que l’éthique de la recherche astrobiologique et de l’expansion humaine dans l’espace extra-atmosphérique.

Quand les scientifiques deviennent des apprentis sorciers

La science devient parfois instrument de domination, notamment en temps de guerre, quand les Etats investissent sans compter dans l’espoir de mettre au point une technologie susceptible de les aider à vaincre. Ce fut le cas lors des deux conflits mondiaux, où les scientifiques ont participé à la conception et au perfectionnement des nouvelles technologies militaires. Ce fut le cas pendant la guerre froide, quand Etats-Unis et URSS se sont livré une concurrence féroce pour recruter les anciens savants nazis, c’est encore le cas aujourd’hui avec la course à l’arme nucléaire de la Corée du Nord, de l’Iran et d’autres.

Au-delà de recherche d’armements qui pourraient vitrifier la planète, le potentiel destructeur des technologies modernes provient aussi des biotechnologies. De la recherche sur les virus aux armes biologiques, il n’y a qu’un pas. « La ligne qui sépare des activités défensives à vocation thérapeutique et donc médicale, des activités offensives vouées à des applications militaires est très poreuse pour ne pas dire invisible » explique Olivier Lepick, spécialiste des armes chimiques et biologiques. « C’est ainsi que l’exemple récent des travaux menés par l’université du Wisconsin et une équipe néerlandaise sur les mécanismes de mutation du virus H5N1 inquiètent au plus haut point la communauté scientifique ». Un équilibre subtil doit donc être recherché entre progrès scientifique, éthique, morale et considérations géopolitiques et sécuritaires, car « la science progresse plus vite que la capacité de la communauté internationale à en réguler les potentielles conséquences ». Ce constat n’est pas uniquement valable pour la recherche médicale, mais également dans le domaine de l’innovation technologique en général.

Science et développement durable

Les changements climatiques qui bouleversent la planète font du sujet des relations entre science et développement durable un enjeu prioritaire. Face aux catastrophes écologiques et à la rapide évolution technologique, la science reste-elle incontournable pour trouver des solutions ? C’est en tout cas ce que pense l’ONU, qui a positionné la science, la technologie et l’innovation (STI) comme l’un des sept domaines d’action essentiels à la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) fixés pour 2030. C’est également ce que pense une majorité de Français. Selon une récente enquête du groupe 3M, ils sont 79 % à estimer que la science joue un rôle crucial dans la résolution des enjeux du changement climatique et qu’elle est indispensable pour assurer à tous un avenir prospère durable. D’autres estiment au contraire que les progrès scientifiques peuvent constituer des dangers pour la planète. Il est vrai que la recherche scientifique intensive a permis, par exemple, d’élaborer des produits chimiques utilisés dans l’agriculture et l’industrie, qui ont contribué à intensifier la pollution de l’eau et de l’air. La science a aussi stimulé l’utilisation de technologies comme l’automobile, les avions et les machines industrielles, qui nécessitent d’énormes quantités d’énergie et de ressources naturelles. La science est un outil puissant pour améliorer notre vie, mais elle peut également avoir des effets négatifs sur notre environnement si elle n’est pas utilisée de manière responsable et durable. Le COMETS a été saisi par le CNRS de la question de l’impact environnemental de la recherche scientifique. Cette saisine s’inscrit dans un contexte d’interrogations profondes, au sein du monde de la recherche, sur la responsabilité de ce secteur à l’égard des défis environnementaux. Pour le COMETS, la prise en compte des impacts environnementaux doit être considérée comme relevant de l’éthique de la recherche, au même titre que le respect de la personne humaine ou de l’animal d’expérimentation, et il est de la responsabilité collective des personnels de recherche de prendre en compte sa dimension environnementale.

On le voit, la science est un domaine qui suscite de nombreux débats et controverses. D’un côté, elle représente un outil essentiel pour le développement de la société en permettant des avancées dans tous les domaines, de la médecine à l’énergie. De l’autre côté, elle peut être source de dangers et de conséquences négatives si elle n’est pas utilisée de manière responsable. Comment continuer à investir dans la recherche et promouvoir une utilisation responsable et éthique de la science afin d’en maximiser les avantages pour l’humanité. Réponse le 27 août prochain lors du débat « Quand la science change le monde ».