La formation professionnelle et le désamour du politique

L’arrivée du gouvernement Attal a signé la fin du ministère chargé de l’enseignement et de la formation professionnelle, dont Carole Grandjean fut la dernière titulaire. Le poste de secrétaire d’État chargé de la formation professionnelle, apparu pour la première fois en 1974, était visible sur tous les organigrammes gouvernementaux jusqu’à la présidence de Nicolas Sarkozy, et encore sur la majorité d’entre eux depuis.

La raison de la disparition de ce ministère intrigue. D’autant plus que le Président de la République, Emmanuel Macron, avait affiché dès 2017 son ambition de remettre l’enjeu de la formation professionnelle au centre du débat, avec notamment une démocratisation inédite de l’apprentissage.

Mais la valorisation de la formation professionnelle pour les actifs, quels qu’ils soient – salariés, indépendants, chefs d’entreprise ou demandeurs d’emploi – semble sur le carreau.

A l’occasion des deux campagnes électorales européennes et législatives qui ont suivi, aucun parti politique ne s’est saisi de cette thématique. On peut déplorer qu’il n’y ait aucune ambition de s’engager pour une politique européenne de la formation professionnelle alors que certains enjeux sectoriels comme l’IA constituent des défis européens et que les compétences sont un facteur d’unification de nos marchés. Pourtant, nous étions en pleine Année européenne de la compétence et durant la PFUE, la France avait affirmé sa volonté de faire avancer l’idée d’un compte européen de formation.

Plus encore que la formation professionnelle, c’est finalement l’emploi qui s’est retrouvé absent des débats. Certes, les derniers gouvernements ont fait reculer le chômage comme jamais depuis des décennies, mais l’emploi est un combat de tous les instants dans une économie mondialisée. Si nous baissons la garde sur notre attractivité, nous perdrons le bénéfice des efforts faits ces dernières années. Et si la stabilité du cadre réglementaire et fiscal est importante, la qualification de nos actifs l’est tout autant.

De plus, alors que l’augmentation des salaires a été au centre de la campagne législative post dissolution, il est encore plus inquiétant que tout le monde semble avoir oublié que la formation professionnelle était un vecteur d’augmentation de la productivité des salariés et donc de leur salaire. A l’occasion de l’audition pour les élections législatives à l’initiative du Medef, CPME et U2P, aucune force en présence ne s’est démarquée sur ce sujet ni exprimé de vision globale. Tout au plus, le Nouveau Front Populaire a évoqué la formation des seniors pour améliorer leur employabilité, vision importante mais qui n’embrasse qu’une partie des enjeux du secteur. Le Rassemblement national a, pour sa part, pointé du doigt le coût de la formation professionnelle, vision inquiétante. Les programmes ne sont pas plus prolixes et effleurent le sujet : la majorité présidentielle évoquait la formation des détenus, le Nouveau Front Populaire le développement de la formation au sein de la filière du jeu vidéo…

La formation professionnelle est pourtant une composante clé permettant le plein emploi, dont les actifs sont aussi demandeurs. Selon le baromètre 2024 de la formation et de l’emploi de Centre Inffo, 41 % des salariés estiment que leur métier évolue très vite et que leurs compétences doivent suivre. La demande ne manque pas puisque 85% des actifs ont déjà ou souhaitent demander une formation auprès de leur entreprise.

Elle est aussi une composante clé des gains de salaire pour les employés. Alors que la question des salaires est passée devant celle de l’emploi dans les inquiétudes des français, affirmer une politique forte en matière de développement des compétences, compatible avec la politique de l’offre menée avec succès ces dernières années, aurait pour conséquence une augmentation naturelle des rémunérations.

Et c’est plus précisément une politique de la reconnaissance de la compétence dont nous avons besoin, parce qu’en sanctionnant la montée en compétences, la certification permet aux actifs de la valoriser auprès de leur employeur. Or, l’enjeu spécifique de la certification est encore mal identifié, que ce soit par les employés, les employeurs, ou les responsables politiques.

Il nous faut enfin pérenniser l’existant. Certes la France doit faire des économies budgétaires, mais le futur Gouvernement devra prendre conscience de l’importance d’investir dans les compétences pour sécuriser l’emploi et renforcer le pouvoir d’achat. Le soutien au Compte Personnel de Formation (CPF), qui est l’une des politiques les plus ambitieuses de la France au cours de cette dernière décennie, ne doit pas faiblir. La formation professionnelle ne peut pas être la variable d’ajustement des déficits publics.

Il faudra à la formation professionnelle une vision politique affirmée pour faire face à ces défis : le prochain Gouvernement ne pourra pas faire l’économie d’une incarnation ministérielle pour la formation professionnelle.

Christopher SULLIVAN Directeur Général – ICDL FRANCE