Consommateur producteur : qui a le pouvoir ?

L’adage populaire « le client est roi » a-t-il toujours tout son sens ? Comment les décisions des entreprises, les politiques gouvernementales, les conditions économiques et même les pressions sociales influencent-elles les choix et les actions des consommateurs ?  Pour nombre d’observateurs, le XXIe siècle est l’âge d’or du consommateur qui, grâce à Internet et aux réseaux sociaux, dispose d’un pouvoir sans précédent de comparer d’innombrables offres et d’exprimer sa satisfaction ou son insatisfaction. Pourtant, le marketing ne cesse de son côté de modifier ses techniques pour traquer et cibler tout le monde, tout le temps.

Alors, entre le producteur et le consommateur, qui a vraiment le pouvoir et quel rôle jouent le marketing et la publicité dans un monde où les mouvements en faveur d’une consommation responsable et éthique conduisent de plus en plus d’entreprises à modifier leurs pratiques ?

L’importance de l’accès à l’information

Il fut un temps, pas si lointain, où les producteurs et les marques dominaient la relation commerciale, dictant les tendances et imposant leurs produits. L’accès accru à l’information via les nouvelles technologies a induit un changement de paradigme en créant une société de consommation plus éclairée. Mieux informés donc plus exigeants, les consommateurs sont devenus les acteurs centraux du marché, décidant du succès ou de l’échec des marques. Ces dernières se voient donc contraintes de revoir leur approche, afin de comprendre et de répondre aux besoins de leur public cible en adaptant leurs produits et leurs campagnes publicitaires. Aspirations à consommer autrement, baisse du pouvoir d’achat, défi écologique, plébiscite des produits locaux et des circuits courts… notre modèle de consommation est en profonde mutation et oblige les entreprises à repenser leur modèle économique, pour intégrer les enjeux de responsabilité sociétale et répondre à un monde de plus en plus en quête de sens. Pour les marques, il ne suffit plus de séduire pour vendre leurs produits.

Le marketing co-construit

Le marketing cherche, par nature, à favoriser la rencontre entre l’offre et la demande. Depuis une dizaine d’années, une nouvelle approche domine : le marketing co-construit, via notamment les communautés de marque qui entraînent un rééquilibrage des rapports de pouvoir entre producteur et consommateur. Via la passion partagée pour une marque culte, comme Nike, Apple ou Harley Davidson par exemple, le personnel des entreprises productrices et les consommateurs deviennent tous membres d’une même tribu, peu importe leur âge, leur condition sociale ou leur nationalité. Cela conduit à l’effacement de la frontière entre consommateur et producteur. Il ne s’agit plus de faire du marketing vers les consommateurs (market to) mais de faire du marketing avec les consommateurs (market with). La co-création de valeur est le processus-clé de cette nouvelle logique marketing qui rallie de plus en plus de supporters dans une approche gagnant-gagnant. Les collaborateurs sont capables de mieux répondre aux demandes des clients en remplaçant le traditionnel discours commercial par un discours émotionnel. Les consommateurs peuvent à leur tour devenir fournisseurs d’idées pour innover.

Consommateur et production responsable

Les consommateurs accordent désormais une importance grandissante aux marques éthiques et jouent de ce fait un rôle clé dans la production responsable. « Une attente sociétale s’exprime à travers des modes de consommation, analyse Julie Stoll, déléguée générale de Commerce Equitable France. Quand les consommateurs répondent positivement à l’appel des marques éthiques, ils envoient au marché des signaux qui peuvent changer le comportement des industriels ». C’est de ce phénomène que naissent des initiatives comme « C’est qui le patron ? » par exemple, qui reprend les outils du commerce équitable pour assurer des revenus décents aux producteurs de lait.

Cette stratégie suppose un équilibre entre les différentes parties prenantes : producteurs, marketing et consommateurs, mais aussi, pouvoirs publics, actionnaires, etc.

Le vrai pouvoir du consommateur : le non-achat

Dans nos sociétés d’abondance, le vrai pouvoir du consommateur réside moins dans son pouvoir d’achat que dans sa capacité de non-achat. Le véritable cauchemar des marques n’est pas celui d’un consommateur plus exigeant, consommant mieux, mais celui d’une multitude de consommateurs conscients de leur capacité de boycott pour forcer les entreprises à respecter certaines règles économiques, sociales ou environnementales. Le « non-consommateur », qui ne veut plus ou ne peut plus consommer, devient la vraie hantise des producteurs et représente même un danger pour l’économie. D’autant que si le consommateur n’achète pas, personne ne peut le contraindre ou le punir. Son rôle est donc capital. Arbitre final, il a le pouvoir de boycotter des produits, d’en plébisciter d’autres, de créer des systèmes d’achat alternatifs et de faire évoluer toute une filière.

Chaque consommateur peut en effet user de son pouvoir économique pour manifester son soutien ou son désaccord vis-à-vis des pratiques des entreprises en achetant ses produits ou en les boycottant. 44 % des Français admettent ainsi tenir compte des engagements de citoyenneté des entreprises lorsqu’ils achètent un produit.

Le pouvoir des algorithmes

Croire que la consommation détermine désormais la production et que les producteurs établissent leurs programmes en fonction des besoins tels qu’ils se manifestent spontanément sur le marché est toutefois une idée fausse. Si le consommateur a aujourd’hui indéniablement de plus en plus de pouvoir, les producteurs et les marques ne manquent pas d’outils pour s’adapter et garder la capacité d’influencer les choix. Dans les sociétés occidentalisées, une large partie des besoins est suscitée par les producteurs, dont la préoccupation constante est d’orienter la demande en un sens qui leur soit favorable. J.K. Galbraith n’a pas manqué de souligner ce point capital. Parmi ces outils aux mains des producteurs, une place particulière revient aux algorithmes avec lesquels les entreprises suivent et exploitent les données personnelles de leurs clients. Qui n’a pas été surpris de recevoir sur son ordinateur ou son téléphone, des publicités pour des produits ou des services en relation direction avec ses dernières options de recherche sur le Net ? Les algorithmes sont des ensembles d’instructions hautement sophistiqués capables d’apprendre de leur environnement et de prédire les futurs comportements des consommateurs. D’autres outils, comme la veille des médias sociaux, l’écoute active des commentaires clients, les tests de nouveaux produits ou les études de marché, permettent également de mieux appréhender et anticiper les attentes des clients.

Le marché de la seconde main a le vent en poupe

Un autre phénomène qui impacte profondément les modes de consommation est la montée en puissance du marché de la seconde main et de l’occasion, notamment depuis la crise sanitaire. Quelles que soient les motivations des consommateurs (écologie, économies, accès au luxe…), l’occasion est désormais une véritable tendance de fond qui pèse quelque 8 milliards d’euros en France. De Vinted au BonCoin, en passant par Ebay ou BlackMarket, on ne compte plus les sites qui proposent de vendre ou d’acheter des produits de seconde main. Beaucoup de marques l’ont également compris et lancent de nouveaux concepts, répondant à cette nouvelle tendance. Des secteurs de plus en plus nombreux sont concernés, de la mode à l’électroménager, en passant par l’informatique, les jouets ou le mobilier. Jeter n’est aujourd’hui clairement plus un réflexe. 7 personnes sur 10 achètent désormais des vêtements de seconde main, tandis qu’1 sur 5 a déjà revendu son smartphone. Les championnes de la seconde main sont surtout les familles avec un enfant de moins de 15 ans, puisque 74 % d’entre elles ont intégré cette pratique dans leur mode de consommation.

« Le monde et les temps changent », chantait Bob Dylan. Les consommateurs aussi… De passifs, ils sont devenus de plus en plus actifs de leur consommation et disposent du pouvoir absolu de choisir ce qu’ils achètent. Pour autant, les producteurs ne manquent pas de moyens d’influencer leurs choix. Alors, du consommateur ou du producteur, qui a en définitive le plus de pouvoir ?  Réponse le 26 août lors du débat « Consommateur producteur : qui a le pouvoir ? »