#WarGames. De la guerre économique à l’économie de guerre

Les capacités militaires françaises, comme d’ailleurs celles de la plupart des pays européens, sont sorties affaiblies de plusieurs décennies de paix en Europe. Après la fin de la guerre froide et l’effondrement de l’empire soviétique, les démocraties occidentales ont considéré qu’il était temps de récolter « les dividendes de la paix ». Les budgets de la défense ont de ce fait presque partout diminué. « Entre 1999 et 2014, les pays européens ont réduit de 66 % leurs parcs de chars de bataille, de 45 % leur aviation de combat et de 25 % leur flotte de bâtiments de surface », constatent les chercheurs de l’Ifri Michel Pesqueur et Élie Tenenbaum. Et entre 2009 et 2014, les armées françaises ont perdu quasiment le quart de leurs effectifs.

La guerre en Ukraine est venue rebattre les cartes et le président de la République a souhaité adapter les armées à cette nouvelle donne, afin de renforcer notre autonomie stratégique. D’où la nouvelle loi de programmation militaire définitivement adoptée par le parlement le 13 juillet dernier. Elle prévoit que 413 milliards d’euros seront consacrés aux armées entre 2024 et 2030, soit une hausse de 40 % par rapport à la loi de programmation précédente. Cela se révèle être le plus important budget jamais consacré aux armées depuis les années 1960 et en 2030, le budget militaire pourrait être le premier du pays, avec 67,4 milliards d’euros programmés.

Cette LPM a vocation à transformer les armées pour les adapter à l’émergence de nouvelles menaces : « la France va s’engager plus franchement sur des domaines comme le cyber, le spatial, le renseignement, la défense sol-air de nouvelle génération et les drones ». En parallèle, l’exécutif entend relancer l’autonomie stratégique européenne pour peser plus au sein de l’OTAN.

Il ne s’agit pas uniquement de fournir Kiev, mais aussi de pouvoir faire face à d’éventuelles menaces. Le niveau actuel de nos équipements et les effectifs de notre armée ne nous permettraient en effet pas de tenir plus de quelques semaines si nous étions engagés dans un conflit de haute intensité, semblable à celui qui oppose l’Ukraine et la Russie.

Economie de guerre…

En mars dernier, lors d’une rencontre avec neuf grands patrons de l’industrie de la défense, Emmanuel Macron les a incités à une « prise de risque accrue », notamment sur les exportations d’armements, et a même évoqué le passage à une économie de guerre.

Nous en sommes toutefois encore très loin. Dans une note pour la Fondation Jean-Jaurès, l’économiste Renaud Bellais, co-directeur de l’Observatoire de la Défense, rappelle quelques proportions utiles. « Actuellement, la France dépense 2 % de son produit intérieur brut pour entretenir et équiper ses armées. A titre de comparaison, quand les Etats-Unis ont plongé dans la guerre en 1942, les dépenses militaires ont atteint 37 % du PIB et 90 % de celles de l’Etat fédéral ». Mais, pour les industriels français, cette nouvelle ligne va demander beaucoup d’investissements. Pour les aider à produire plus et plus vite, la direction générale de l’Armement s’attache à cinq chantiers prioritaires : offrir une plus grande visibilité aux industriels ; simplifier l’expression des besoins ; sécuriser les chaînes d’approvisionnement, et notamment limiter les dépendances étrangères ; aider au recrutement ; garantir l’accès aux financements privés.

Une véritable révolution industrielle et technologique est donc en cours pour toutes les entreprises concernées, soit un tissu de 4000 entreprises, parmi lesquelles une très grande majorité d’ETI et de PME.

Selon le général Thierry Burkhard, chef d’Etat-Major des Armées, il s’agit de « gagner la guerre avant la guerre ». L’objectif n’est pas de s’engager dans une course aux armements, mais de prévenir un adversaire potentiel qu’il n’a pas intérêt à tester à menacer notre nation. « L’effort doit être juste suffisant pour doter la France d’un outil de défense adapté et donc dissuasif ».

…ou guerre économique ?

La France n’est pas en guerre et personne ne souhaite qu’elle le soit. Sans être directement impliquée dans le conflit russo-ukrainien, elle n’échappe pourtant pas à ses conséquences économiques. Les sanctions prises contre la Russie n’ont pas manqué d’avoir des effets boomerang auxquels notre pays, comme d’ailleurs bien d’autres, n’était pas préparé. La France n’est donc pas à l’abri d’une guerre économique, qui pourrait à terme menacer sa souveraineté.

Selon les estimations de l’OCDE, la récession économique en Russie du fait des sanctions pourrait avoisiner les 15 % du PIB, tandis que l’impact du conflit sur l’économie mondiale devrait se solder par des pertes de croissance mondiale entre 0,7 % et 1,3 %. Sans compter les conséquences sur l’inflation en raison des hausses de prix sur les céréales ou l’énergie.

Dans ce contexte, mieux assurer notre souveraineté nationale est plus urgent que jamais.  Cela implique une politique de réindustrialisation et de relocalisation.

Pour l’économiste Christian Saint-Etienne, pendant 20 ans, « l’Europe et en particulier la France, qui s’est engagée dans la voie de la désindustrialisation, ont fait preuve de cécité. Nous vivions dans l’illusion d’un monde fongible dans lequel, lorsque l’on paie, on trouve toujours une offre. Avec le Covid, la guerre économique entre Trump et la Chine et le conflit en Ukraine, tout cela a volé en éclats ». Les investissements prévus en matière de défense seront-ils l’occasion d’affirmer notre souveraineté ? Une action nationale sera-t-elle suffisante ou faut-il, comme le préconise Emmanuel Macron, repenser la souveraineté au niveau européen ? Réponse le 29 août lors du débat #WarGames. De la guerre économique à l’économie de guerre.