Lancée en 2018 par Donald Trump, la guerre commerciale et technologique entre les Etats-Unis et la Chine fait rage, encore exacerbée par la pandémie de Covid-19. Quel impact aura la nouvelle administration américaine sur ce conflit d’un nouveau genre qui a l’air de s’installer pour durer ? Que peut faire la diplomatie pour arrondir les angles et surtout que peuvent faire l’Europe et la France pour ne plus se contenter de regarder passer les balles ?

Au cours de ces trente dernières années, la Chine est passée du statut « d’atelier du monde » à celui de « champion technologique ». Désormais, les budgets chinois de R&D égalent ceux des États-Unis. Pour tenter de contrer cela, dès son premier mandat, Donald Trump avait élaboré une stratégie globale de concurrence technologique avec la Chine, en s’appuyant notamment sur un renforcement des investissements américains dans les technologies émergentes et une restriction des flux technologiques vers l’empire du Milieu. Face à cela, la Chine s’est empressée de développer ses propres technologies en misant notamment sur les semi-conducteurs et en renforçant ses techniques de cyber-espionnage industriel. L’enjeu derrière cette nouvelle rivalité est clair : l’hégémonie numérique, comme le souligne l’éditorialiste du FT, Rana Foroohar, « la guerre commerciale n’est désormais plus dans les produits physiques, mais dans la technologie » et si l’on en croit l’expert de l’industrie chinoise Jean-François Dufour, « cette guerre technologique a toutes les chances de se poursuivre longtemps ». En effet, si les Américains semblent déterminés à conserver leur avantage, les Chinois sont de leur côté prêts à tout pour prendre l’ascendant et Pékin vise l’autosuffisance technologique sur 70 % des composants et matériaux clés à l’horizon 2025, comme le stipule l’ambitieux programme « Made in China 2025 ».

Au cœur de ce conflit, les entreprises technologiques, « licornes » et « titans », presque toutes situées aux USA et en Chine, et la chasse aux talents avec les salaires exorbitants proposés par les Gafam et les BATX.

Semi-conducteurs et 5G au cœur des rivalités

Au cœur de cette nouvelle guerre froide que se livrent Etats-Unis et Chine on trouve les semi-conducteurs, éléments incontournables pour tous les projets technologiques de la Chine, des smart phones aux véhicules électriques en passant par les réseaux intelligents. Ils sont aujourd’hui le talon d’Achille de l’industrie chinoise, qui en consomme cinq fois plus qu’elle n’en produit. Mais si les Etats-Unis ont toujours la domination mondiale en ce domaine, cette dernière est désormais menacée. Alors que plus d’un tiers des puces vendues dans le monde étaient produites aux USA en 1990, la production américaine représente aujourd’hui moins de 15 % du volume global. Et la Chine pourrait représenter 24 % du total mondial d’ici 2030. Pour contrer cette montée en puissance chinoise, les Etats-Unis veulent bloquer l’accès aux machines nécessaires à la production de ces produits et interdire à leurs entreprises leaders dans ce domaine de commercer avec la Chine.

Autre technologie devenue un véritable enjeu géopolitique : la 5G, d’où l’acharnement américain contre Huaweï, leader de la 5G, technologie qui va conditionner le développement de l’Internet des objets et de l’intelligence artificielle, et qui à travers l’échange massif de données qu’elle permet représente un risque accru d’espionnage industriel. Aux Etats-Unis contrairement à ce qui se passe en Chine, la 5G n’en est encore qu’à ses balbutiements… ceci expliquant sans doute cela.

Vers une nouvelle guerre des étoiles ?

Autre terrain sur lequel s’engage la guerre technologique entre les Etats-Unis et la Chine : la conquête de l’espace. Depuis les années 60, les États-Unis mènent certes la course, ce que confirme l’exploit du rover Persévérance sur Mars, mais, petit à petit, la Chine se fait plus présente. Au fil des années, elle s’est en effet dotée d’une puissante industrie spatiale qui à terme pourrait venir concurrencer l’Amérique. Ainsi au cours de ces trois dernières années, c’est elle qui a lancé le plus de fusées. Et ne se contentant pas seulement de rattraper son retard technologique, il semblerait que la Chine soit en train de développer un véritable arsenal spatial, ce qui fait craindre une accélération de la militarisation de l’espace. Un récent rapport du renseignement américain indique que la Chine travaillerait en effet au développement d’armes capables de cibler les satellites des Américains et de leurs alliés. Les Etat-Unis s’inquiètent par ailleurs de la construction prochaine d’une station spatiale chinoise, qui pourrait être opérationnelle entre 2022 et 2024. « Les activités spatiales de la Chine et de la Russie représentent des menaces sérieuses et croissantes pour la sécurité nationale des États-Unis », a annoncé le nouveau secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, en janvier dernier ajoutant que « la Chine devenait une menace grandissante ».

Quand la diplomatie entre en scène

De la pandémie de Covid-19, à l’ostracisation de Huaweï en passant par l’espace, Tik-tok, la question de Hong-Kong ou des Ouïgours… les terrains d’affrontement entre les États-Unis et la Chine ne se comptent plus. Le bras de fer commercial et technologique est devenu multiforme, à telle enseigne que beaucoup d’observateurs n’hésitent pas à parler de « nouvelle guerre froide ». Face à cela comment réagit la nouvelle administration Biden ? Antony Blinken, le nouveau secrétaire d’Etat américain, a certes une vision moins manichéenne que celle de l’administration précédente : « notre relation avec la Chine sera concurrentielle quand elle doit l’être, collaborative quand elle peut l’être et antagoniste quand c’est nécessaire » a-t-il déclaré, toutefois, les tensions de l’ère Trump demeurent et on constate aujourd’hui que les Etats-Unis souhaitent associer leurs alliés, Europe, mais aussi Inde, Australie et Japon, pour opposer un front commun à la Chine. Le nouveau secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a clairement laissé entendre que son pays ne se laisseraient pas intimider par la Chine. Un autre moyen de pression est la volonté de Joe Biden de limiter les excès de la mondialisation, dont la Chine a été le principal bénéficiaire, via notamment la proposition d’une taxation globale minimale de 21 %- des multinationales. L’aspiration à une mondialisation plus raisonnée est partagée par la majorité des Européens et une convergence de vue s’observe également vis-à-vis de la Chine. Avec une Amérique, désormais plus soucieuse de lutter contre le réchauffement climatique, et une Europe souhaitant renforcer sa souveraineté dans les secteurs stratégiques, Europe et Etats-Unis devraient se concerter sur des mesures d’encadrement de la liberté des échanges internationaux. Mais quoi qu’il en soit la guerre commerciale à proprement parler entre USA et Chine va se poursuivre et l’Europe doit pouvoir elle aussi répondre à cette situation.

Quelle place pour l’Europe et la France dans la bataille technologique ?

« La guerre technologique est lancée et l’Europe doit se défendre. Le différend technologique entre les États-Unis et la Chine est un défi pour notre continent », a déclaré Reinhard Ploss, PDG du fabricant de puces allemand Infineon Technologies, lors du salon virtuel Electronica 2020. L’UE est en effet un enjeu de première importance pour la guerre commerciale sino-américaine. L’actuelle Commission européenne d’Ursula Von der Leyen semble vouloir tout mettre en œuvre pour renverser les rapports de force et pour permettre à l’Union d’assurer sa souveraineté technologique et numérique et par là de réduire sa relation de dépendance tant vis-à-vis de la Chine que des Etats-Unis. Mais a-t-elle aujourd’hui les moyens de ses ambitions pour proposer une troisième voie pour défendre son industrie face à l’expansion chinoise et au protectionnisme américain ? L’Europe est-elle notamment allée trop loin dans l’ouverture ? Si l’on en croit Laurent Alexandre, l’Europe aurait d’ores et déjà perdu la guerre technologique. Dès 2019, le fondateur de Doctissimo mettait les Européens en garde et dénonçait les « budgets minuscules » en matière de recherche conduisant au décrochage numérique européen. Pour Laurent Alexandre, aucune entreprise européenne n’est en effet en mesure de rivaliser avec un concurrent américain ou chinois au niveau de l’intelligence artificielle. Selon lui, pour rattraper ce retard, il faudra dépasser les régulations nationales et créer des « plateformes numériques » communes. Sera-t-il entendu ?

Par ailleurs, pandémie oblige, l’Europe semble de plus en plus tentée par le protectionnisme, l’intervention des Etats et la fermeture des frontières. Mais est une solution ? Le protectionnisme peut-il fonctionner dans le contexte géopolitique actuel ? Pas si sûr. Comme le faisait remarquer un observateur « ce ne sont pas les droits de douane qui auraient pu nous faire gagner la guerre des vaccins ». Face à des économies de plus en plus imbriquées, le niveau national n’a pas vraiment de sens, mais l’Europe doit toutefois s’assurer que tous ses concurrents sont sur un « same level playing field », afin de ne pas être le dindon de la farce. Face à ces risques protectionnistes, une entreprise comme Google plaide auprès de l’administration Biden en faveur d’un conseil technologique entre les Etats-Unis et l’Europe considérant qu’une « explosion des politiques nationales européennes représenterait une menace plus grande que le différend commercial entre la Chine et les Etats-Unis ».

Quant à la France, l’affaire des vaccins a mis le doigt sur notre retard en matière de R&D et en dépit de notre puissance d’innovation, nos plus belles start-ups se heurtent souvent à un plafond de verre qui les empêchent de devenir des grandes. Si elle veut devenir une économie de rupture technologique la France devra faire des choix et définir des secteurs prioritaires sur lesquels focaliser les investissements, afin de remodeler notre modèle à l’horizon 2030 et d’endiguer le recul régulier que les entreprises françaises enregistrent depuis 15 ans.

Au total, la tension géopolitique sino-américaine et la crise sanitaire ont accentué la confrontation technologique entre Pékin et Washington : 5G, intelligence artificielle, semi-conducteur, cybersécurité sont autant de sujets de discorde. Face à cela, l’Europe est en proie à un double défi. L’UE ne peut faire cause commune avec les États-Unis contre la Chine, car elle ne partage pas leur manière d’aborder le problème, et ne peut se ranger du côté de la Chine contre laquelle elle a de nombreux griefs. Alors dans cette guerre technologique qui sera in fine le vainqueur ? Quels en sont les impacts et quelles en sont les conséquences ?  Et quelle place pour les entreprises françaises et européennes dans cette course technologique ? Est-il déjà trop tard ? Réponses le 2 juin prochain lors du débat « Guerre commerciale et technologies : and the winner is… »