Réchauffement climatique : qui est le maître des horloges ?

« L’homme a été doué de force créatrice afin de multiplier ce qui lui a été donné. Mais jusqu’à présent il n’a rien fait que détruire ! Il y a de moins en moins de forêts, les rivières se dessèchent, le gibier disparaît, le climat se détériore ! De jour en jour la terre devient de plus en plus pauvre et de plus en plus laide ». Dans Oncle Vania, Tchekhov se plaignait déjà en 1897 du changement climatique. Aujourd’hui, les désordres écologiques sont devenus la première préoccupation des Occidentaux et particulièrement des jeunes générations, devant les maladies infectieuses ou le terrorisme. L’Europe s’est d’ailleurs fixé l’objectif ambitieux d’une économie neutre en carbone à l’horizon 2050. Mais comment y parvenir et n’est-il pas déjà trop tard ?

Notre planète a bénéficié d’une ère de stabilité climatique remarquable pendant tout l’Holocène, qui a débuté voilà quelque 11 000 ans. Les spécialistes considèrent aujourd’hui que cette période est bel et bien terminée et que nous sommes entrés dans l’Anthropocène où « le tic-tac de l’horloge climatique », pour reprendre le titre du livre de Christian de Perthuis, ne cesse de s’accélérer, via les rejets de CO2 dans l’atmosphère, dus essentiellement aux comportements des hommes. Une accélération qui, pour beaucoup, menace la survie même de la planète, de la biodiversité, et de l’humanité… la pandémie de Covid-19 est peut-être un dramatique avertissement.

Depuis 2012, le réchauffement climatique ne cesse d’augmenter et le compte à rebours a commencé. Une immense horloge, la Climate clock a été installée à New-York pour symboliser le temps dont dispose encore l’humanité pour agir avant d’atteindre le pont de non-retour. Elle affichait le 23 mars dernier, 6 ans et 283 jours. Son objectif est de sensibiliser les dirigeants du monde entier pour qu’ensemble ils trouvent des solutions. Oui mais lesquelles et à quel prix ?

N’est-il pas déjà trop tard ?

« Nous appelons les dirigeants mondiaux à éloigner l’humanité du précipice. Le temps est venu de se rassembler et d’agir », a déclaré l’ancienne présidente irlandaise Mary Robinson tandis qu’Emmanuel Macron exhortait dès 2017 à « Make our planet great again ». Mais n’a-t-on pas déjà raté le coche ?

« Est-ce que nous avons commencé à réduire nos émissions de gaz à effet de serre ? La réponse est non ! Est-ce que nous avons commencé à réduire l’utilisation des pesticides ? La réponse est non ! Est-ce que nous avons commencé à enrayer l’érosion de la biodiversité ? La réponse est non ! », se lamentait Nicolas Hulot lorsqu’il a choisi de quitter le gouvernement. Les grands sommets consacrés au climat ont eux aussi déçu et de son côté, le spécialiste du climat Jean-Marc Jancovici prévient, il ne suffira pas d’arrêter la nuisance pour que tout se stabilise car « la durée de vie des gaz à effet de serre dans l’atmosphère est très longue, et l’évolution que nous avons mise en route aura des conséquences pendant quelques milliers d’années, quoi que nous fassions désormais ». Pour autant, cela n’est pas une incitation à ne rien faire, bien au contraire car, toujours selon Jean-Marc Jancovici, « si nous ne faisons rien et si nous attendons la pénurie de combustibles fossiles pour limiter nos émissions, nous avons alors de bonnes chances de nous retrouver dans une situation où nous cumulerons des ennuis sans cesse croissants avec de moins en moins de moyens d’y faire face ». Agir oui mais comment ? Pour les écologistes les plus convaincus, il faut remettre en cause la croissance économique et agir par la contrainte. Mais, est-ce aussi simple ?

La croissance économique est-elle responsable ?

Si nous regardons le passé, la réponse est incontestablement oui car on constate une corrélation parfaite entre les émissions et la croissance mondiale et si on reste sur le même trend, les choses ne feront que s’aggraver. Nos modèles économiques actuels semblent donc bel et bien en totale contradiction avec la lutte contre le réchauffement climatique. Cela ne nous condamne toutefois pas nécessairement à accepter la décroissance, mais plutôt à redoubler d’inventivité et de créativité pour trouver dans tous les domaines de nouvelles solutions permettant de se développer sans endommager l’environnement. C’est ce que font déjà la plupart des entreprises, notamment dans nos économies occidentales. Elles ont compris que la protection de l’environnement était aujourd’hui un véritable enjeu et une source d’opportunités nouvelles se chiffrant en milliards de dollars de gains économiques et en millions d’emplois.

Ecologie et démocratie sont-elles compatibles ?

Et le politique dans tout cela, quel est son rôle ? Doit-il convaincre ou contraindre ? La démocratie, telle que l’Occident la conçoit est-elle soluble dans le combat pour le climat ?

De plus en plus de chercheurs abordent désormais la crise écologique à travers la question démocratique. Pour certains, « la qualité démocratique a une influence positive sur la qualité écologique », pour d’autres au contraire, qui dénoncent l’écofascisme, il existe une incompatibilité entre démocratie et écologie. S’il est vrai que certains ont pu, au nom de la nature, défendre des valeurs absolument anti-démocratiques, insister sur le risque d’écofascisme est extrêmement réducteur. En effet, l’immense majorité des écologistes sont aussi de fervents défenseurs de la démocratie.

Bien sûr face à la catastrophe annoncée, certains régimes autoritaires peuvent être tentés d’imposer des restrictions draconiennes au nom de ce que Hans Jonas appelait « la tyrannie bienveillante » et d’aucuns pensent que ces régimes sont mieux à même que les démocraties classiques de réussir la transition écologique. Pour d’autres au contraire la tentation d’une dictature verte ne ferait que brider la créativité et la mise en place de solutions innovantes. On voit bien qu’en ce domaine rien n’est simple et que la lutte contre le réchauffement climatique impose, en plus de changer de modèles économiques, de définir également un nouveau projet politique, en renforçant la démocratie et notamment la démocratie citoyenne.

Bien sûr la transition écologique implique un certain nombre de changements et la nécessité de mettre en place de nouvelles normes techniques, de nouvelles taxes et éventuellement de nouvelles interdictions…, mais ces changements sont autant porteurs de nouvelles opportunités que de nouvelles contraintes et ces dernières ne visent d’ailleurs qu’à éviter d’autres contraintes, naturelles cette fois et bien plus graves, engendrées par la destruction de la biodiversité, l’asphyxie des océans ou l’appauvrissement des terres arables.

Protéger l’environnement pour la survie de l’humanité est donc devenu une nécessité pour de très nombreux observateurs qui tous en mesurent l’urgence, jusqu’au Pape François qui a déclaré dans l’Encyclique Laudato Si « le changement climatique constitue l’un des principaux défis actuels ». Cette urgence remet en cause nos modes de vie et nos façons de consommer et de produire. Mais comment faire accepter à tous que « la liberté s’arrête là où commence la planète » et qu’il n’y a plus de temps à perdre ? Les citoyens sont-ils prêts à changer radicalement de mode de vie ? Comment mettre en place les transformations majeures de notre modèle économique et social que suppose la neutralité carbone ? Autant de questions auxquelles tenteront de répondre les participants au débat « Qui est le maître des horloges ? » du 15 avril prochain.