En Occident, nous vivons avec une croyance au progrès profondément enracinée et consubstantielle à notre monde et à notre civilisation. Mais le progrès, qui va généralement dans le sens d’un mieux-être pour le plus grand nombre, n’est-il pas aussi une source d’exclusion et ne creuse-t-il pas les inégalités ? Einstein disait « le mot progrès n’aura aucun sens tant qu’il y aura des enfants malheureux ». Où en sommes-nous aujourd’hui ? Le progrès est-il accessible à tous ? Si tel n’est pas le cas, comment réagir et agir, à la fois au niveau national et international, pour aller vers un système plus inclusif et pour réduire les écarts de développement ?

Certes, le progrès rassure et nous permet de jeter sur le futur un regard moins inquiet, mais in fine il nous rend aussi esclaves du bien-être matériel et dépendant des outils, des machines et des innovations. Il transforme ainsi le superflu en nécessaire et génère des frustrations, d’autant que les oubliés du progrès sont légions, qui n’ont pas su, ou pas pu, prendre le train en marche et qui restent au bord du chemin.

Dans son livre paru en 1995, le prospectiviste Jeremy Rifkin prédisait la fin du travail : les gains de productivité allaient être tellement élevés avec les progrès technologiques qu’ils permettraient une réduction massive du temps de travail et le développement d’une société de loisirs. Nous en sommes loin ! Outre les débats sur le volume total de travail nécessaire pour produire, on assiste à une remise en cause en profondeur de la structure même des emplois avec la disparition de pans entiers d’activités et les réactions, parfois violentes, de tous ceux qui se voient dépossédés de leur savoir-faire et de leur mode de travail. Certes, le phénomène n’est pas nouveau. Toute évolution technologique conduit à des changements majeurs dans les modes de production. C’était déjà vrai au 19ème lors de la première révolution industrielle, cela l’est d’autant plus aujourd’hui à l’heure de la robotisation et de la digitalisation tous azimuts.

Bien sûr, au fil de l’histoire, sur le long terme, le progrès technique a davantage contribué à créer d’emplois qu’il n’en a détruits. Mais cela ne se produit qu’au prix d’une transformation longue et douloureuse. Comment alors atténuer le coût social de la transition et permettre aux « perdants du progrès » de trouver leur voie, afin d’éviter que « the race for the machine » ne devienne « the rage against the machine » ?

L’Etat a sans doute là un rôle majeur à jouer, à la fois en inventant des mesures protectrices, mais surtout en investissant massivement dans l’éducation et la formation, pour permettre à chacun de s’adapter et de trouver sa place. Il ne s’agit en effet nullement d’arrêter le changement, mais de mieux l’accompagner.

Mais cela vaut surtout essentiellement dans les pays riches. Pourtant, à l’heure de la mondialisation, les mutations industrielles touchent l’ensemble de la planète et les solutions à mettre en œuvre pour éviter la dépréciation de pans entiers de capital humain peuvent alors se révéler bien plus complexes encore. Là encore l’éducation a un rôle majeur à jouer, mais également une plus grande solidarité internationale, pour ne pas risquer d’aggraver la situation des plus fragiles et pour ouvrir au plus grand nombre l’accès au progrès dans toutes ses dimensions.

Une autre question qui se pose, est celle du rythme du progrès. Ne va-t-il pas trop vite ? Les développements technologiques menés à un rythme effréné ne conduisent-ils pas à multiplier les dangers pour les hommes comme pour la nature ?

Intelligence artificielle, Big Data, nanotechnologie, neurosciences… on comprend que ces bonds technologiques et leur accélération exponentielle, puissent être pour beaucoup d’êtres humains source d’inquiétude. Il n’est bien entendu pas question de faire machine arrière, n’en déplaise aux partisans de la décroissance, mais de repenser le progrès afin de mieux le contrôler et de mieux l’appréhender. Cela implique sans doute de changer de paradigme en se souvenant que le progrès ne se réduit pas au progrès technique, mais qu’il peut et doit aussi avoir une dimension humaine et sociale.

Les possibilités du progrès paraissent aujourd’hui illimitées. Mais n’est-il pas en train de nous échapper et comment le repenser et lui redonner du sens afin qu’il ne nous échappe pas et que demain nous puissions encore tous en être les gagnants ? C’est autour de ces problématiques que se déroulera le débat du 4 février prochain intitulé « Le progrès peut-il être encore partagé par tous ? »