« On n’arrête pas le progrès » dit l’aphorisme populaire et depuis l’antiquité, le progrès, mot issu du latin progressus, qui signifie marche en avant, a permis à l’humanité de s’émanciper en maîtrisant la nature par la technique. Lévi-Strauss écrivait dans Le Cru et le cuit, « chaque progrès donne un nouvel espoir, suspendu à la solution d’une nouvelle difficulté ». Le progrès a ainsi contribué tout au long de l’histoire à allonger l’espérance de vie, à s’affranchir de tâches pénibles, à améliorer le confort, le bien-être et la santé, à augmenter la prospérité et à s’affranchir de très nombreuses contraintes. Pourtant, au 21e siècle, le progrès est de plus en plus controversé et suscite une défiance croissante. Il suffit pour s’en convaincre de voir les réticences, pour ne pas dire le rejet, des tout nouveaux vaccins à ARN messager sensés nous débarrasser enfin de la terrible pandémie qui paralyse le monde depuis un an. Comment en est-on arrivé là ? Et surtout comment restaurer la confiance ?

Techniques et sciences, après avoir longtemps contribué à la survie de l’humanité, deviennent l’une de ses préoccupations majeures. Intelligence artificielle, manipulations génétiques, OGM, clonage, cyber-menaces… dans tous les domaines le progrès apparaît à certains comme dangereux et fait naître des craintes et de la méfiance. La grande majorité des controverses portent sur des sujets de santé ou sur les conséquences en termes de réchauffement climatique ou de disparition de la biodiversité. Mais comment en est-on arrivé là ?

Jusqu’au 19e siècle, la science et le progrès étaient peu remis en cause. Tout a changé à partir du 20ème siècle. Dégâts engendrés par les innovations militaires (Hiroshima), multiplications des catastrophes industrielles (Seveso, Bhopal, Tchernobyl) ou climatiques (réchauffement climatique, montée des océans, fonte de la banquise), zoonoses et pandémies (HIV, H1N1, Sars, Covid-19), l’histoire contemporaine montre combien le contrat de confiance entre science et société a évolué de crises en crises.

Et le 21e siècle n’a fait qu’aggraver les choses, avec la toute puissance d’Internet et des réseaux sociaux, qui permettent à chacun de donner son opinion sur tout, y compris les sujets les plus complexes, on favorise fake-news et théories du complot.

Du coup, la parole des scientifiques perd en efficacité et la société doute de plus en plus de la science. Si l’on ajoute à cela le fait que le domaine de la recherche n’est pas toujours épargné par des conflits d’intérêts, on peut comprendre que l’opinion publique se méfie.

La notion même de progrès est donc en crise. Une crise exacerbée par le fait que le progrès se paie aussi parfois par un durcissement des conditions de travail et par une montée du chômage et de la précarité, dus à l’effondrement de pans entiers de l’économie devenus obsolètes. Pourtant dès 1939, Joseph Schumpeter avait prévenu : le « progrès technique provoque à la fois suppressions et créations d’emplois ». Toute la question est de savoir s’il en crée plus qu’il n’en supprime.

Les autorités publiques n’ont souvent pas voulu voir le problème et ont-elles aussi une responsabilité dans ces phénomènes de méfiance, en raison notamment d’erreurs de communication.

Pourtant, l’homme est, a priori, amené à avoir confiance dans le progrès, qui contribue à l’amélioration de sa condition. D’ailleurs un récent sondage commandé par la Fondation Nicolas Hulot, montre que 90 % des Français continuent à faire confiance à la science, mais montrent de la défiance face à son instrumentalisation par les politiques et les entreprises privées.

Alors comment restaurer la confiance ?

Pour le professeur Axel Kahn, la crise du progrès repose en premier lieu sur « un retard du questionnement éthique par rapport à l’innovation technique, autrement dit sur une crise des valeurs ».
Les scientifiques aussi doivent faire entendre leur voix pour mieux informer les citoyens et leur permettre de mieux faire le tri entre rumeurs et vérités.

Des oppositions aux innovations ont toujours existé et existeront toujours. En revanche, le discrédit du travail scientifique qui se développe doit nous alerter. En 2013 déjà, Robert Badinter, Jean-Pierre Chevènement, Alain Juppé et Michel Rocard dans La France a besoin de scientifiques techniciens notaient une évolution inquiétante des relations science-société « en raison de l’impossibilité de conduire des débats scientifiques contradictoires de façon apaisée. L’expertise scientifique continuellement commentée par les marchands de peur entraîne une paralysie de la prise de décision politique avec pour conséquence un tarissement des recherches en Europe, notamment dans le domaine des biotechnologies ».

D’une confiance aveugle dans le progrès, il devient aujourd’hui nécessaire de passer à une science en conscience. L’avenir du progrès passe sans doute par le développement d’une réflexion à son sujet et par l’établissement d’une échelle de confiance dans les techniques. Le progrès est en effet inhérent à l’humanité et le refuser serait inconcevable. Il en résulterait un vrai déclin de l’Europe, qui aujourd’hui déjà a bien du mal à traduire en applications ses découvertes en recherche fondamentale et qui voit nombre de ses meilleurs scientifiques fuir vers l’Asie ou les Etats-Unis. Si on ne veut pas se fermer toutes les portes sur l’avenir, il est plus que temps de mieux encadrer le progrès et la science sans chercher à les réprimer.

« Malgré un destin difficile, je suis, je reste toujours optimiste. La vie m’a appris qu’avec le temps, le progrès l’emporte toujours. C’est long, c’est lent, mais en définitive, je fais confiance » écrivait Simone Veil. Mais quoi qu’il en soit, la confiance ne se décrète pas, elle se gagne. Et cela peut prendre des années.

« Nous ne pouvons pas ne pas valoriser le progrès technique », a déclaré le pape François, tout en fustigeant « le mythe moderne du progrès matériel sans limites ». Alors, pour regagner la confiance, quelle éthique commune du progrès ? Comment concilier besoins rapides et confiance dans le progrès ? Quels risques est-on prêts à assumer et comment les faire accepter ? La régulation est-elle un frein ou une condition du progrès ?

Le progrès humain et le progrès technique font-ils toujours cause commune ?

La transparence de la régulation suffit-elle à susciter la confiance dans le progrès ? Autant de questions qui seront débattues lors de la REF Progrès le 4 février prochain.