En faisant les bons choix éthiques, réglementaires et technologiques, les bénéfices de la digitalisation du monde ne seront pas annulés par des impacts écologiques délétères, estiment les acteurs du numérique Nicolas Brien (CEO de France Digitale), Arnaud de Bermingham (président de Scaleway) et Yann Lechelle (CEO de Scaleway, membre cofondateur de France Digitale).

Fin juin 2020, le Sénat a proposé une feuille de route pour une transition numérique écologique. Tandis que le cloud n’en est encore qu’aux prémices de son adoption, il est plus que jamais temps de faire les bons choix pour que les bénéfices de la nouvelle économie numérique ne soient pas annulés par des impacts écologiques directs. Nous, acteurs du numérique, avons la possibilité de nous positionner comme piliers incontournables de l’économie de demain en mettant ces forces transformatrices au service d’une société plus juste, plus responsable et plus verte ! Nicolas Brien, CEO de l’association France Digitale, Arnaud de Bermingham, président de Scaleway et Yann Lechelle, CEO de Scaleway en appellent au Premier ministre.

Par les optimisations qu’il permet (transport, éclairage, mutualisations d’infrastructures), le numérique peut réduire les émissions mondiales de CO2 de 20 % avant 2030. Pendant longtemps, experts et politiques ont cru que la digitalisation de nos sociétés entraînerait une explosion de la consommation mondiale d’électricité. Alors que le trafic internet a été multiplié par douze depuis 2010, l’Agence internationale de l’Energie constate que la consommation électrique des datacenters est restée stable : 200 TWh en 2019, soit 0,8 % de la consommation mondiale, ce qui s’explique par un gain général d’efficacité des réseaux et un mouvement de l’hébergement vers le cloud et les énergies renouvelables.

Apparaît ainsi une source d’espoir : en faisant les bons choix éthiques, réglementaires et technologiques, les bénéfices de la digitalisation du monde ne seront pas annulés par des impacts écologiques délétères.

Alors que le confinement vient de projeter la France dans le plus grand moment de transformation digitale de son histoire, nous, acteurs du numérique, avons la possibilité de nous positionner comme piliers incontournables de l’économie de demain en mettant ces forces transformatrices au service d’une société plus juste, plus responsable et plus verte. Et parce que 80 % de l’informatique mondiale n’est pas encore dans le cloud, cette nouvelle phase de transformation ne fait que commencer.

La numérisation croissante et exponentielle de l’économie peut tout autant augmenter l’empreinte environnementale, qu’accélérer la transition écologique.

Le numérique n’est pas une industrie immatérielle : il s’appuie sur des services de cloud qui ont besoin de datacenters géants (hyperscalers), constituant la matière première de tout l’écosystème numérique. Aujourd’hui, les datacenters concentrent la quasi-totalité de la consommation électrique du numérique en Europe et sont au cœur des enjeux écologiques et politiques de demain. Alors que le trafic en ligne augmente (+40 % entre février et avril 2020), les datacenters à la pointe de l’innovation améliorent l’efficacité énergétique et limitent fortement et durablement la croissance de la demande d’énergie. Les progrès technologiques de ces dernières années ont d’ores et déjà permis d’effectuer jusqu’à quatre fois plus de calculs pour la même empreinte énergétique et de diviser par deux l’indice PUE (Power Usage Effectiveness) d’un datacenter. La révolution du cloud computing fait assurément partie de l’équation environnementale car une fois répandu, il réduira les émissions de gaz à effet de serre de l’industrie informatique de 95 %, soit 4,5 millions de tonnes d’émissions de CO2 (Global e-Sustainability Initiative 2013).

Le cloud, partie de la réponse environnementale

A ce jour, les considérations relatives à la responsabilité environnementale n’influent pas sur les décisions des géants du cloud. Alors qu’en France le kWh électrique émet très peu de gaz à effet de serre, ces derniers ont construit leurs datacenters principalement hors de France, sur des critères de fiscalité et du coût de l’énergie.

Et pourtant, la France présente de nombreux atouts pour un numérique écologique. Son énergie compte parmi les plus fiables et les moins carbonées du monde, les dispositions fiscales récemment introduites par la réduction de la taxe CSPE pour les datacenters sont incitatives, le coût de l’énergie y est raisonnable et dans la moyenne européenne, son climat tempéré permet de substantielles économies de refroidissement.

Mais surtout, nous avons en France des champions qui n’ont eu de cesse ces vingt dernières années d’innover pour réduire leur empreinte environnementale.

Passer à la vitesse supérieure, mettre le numérique au service de la transition écologique et en faire la responsabilité de tous

Les choix effectués aujourd’hui pèseront longtemps sur notre industrie numérique et sur notre environnement.

Oui, la France et l’Europe doivent inciter les datacenters et les fournisseurs du cloud à des pratiques vertueuses, tant sur l’utilisation de l’énergie que les ressources en eau ! Des objectifs de performance ambitieux doivent être fixés, incités et harmonisés à l’échelle européenne. La transparence doit devenir la norme, au bénéfice des clients, des institutions et des individus.

Certaines pratiques inavouables doivent disparaître : le gâchis de millions de mètres cubes d’eau potable dans des tours de refroidissement pour climatiser les datacenters, un processus par ailleurs favorable à la prolifération des bactéries, combattues à grand recours à des produits chimiques. Cette pratique quasi interdite en France persiste dans certains pays d’Europe et doit être harmonisée à l’échelle européenne.

La France doit également revoir son étonnante politique énergétique qui a détruit ces dernières années toutes les incitations vertueuses visant le pilotage de l’usage.

Le développement à venir des énergies intermittentes va de pair avec la capacité des datacenters à moduler voire délester leur consommation.

Il n’en reste que des solutions existent aujourd’hui pour minimiser l’impact énergétique et environnemental, la France a une véritable carte à jouer.

Monsieur le Premier ministre, prendrez-vous l’engagement de stocker les données de l’Etat dans des datacenters plus responsables et plus verts ?