Face à l’urgence de lutter contre le réchauffement climatique, qui est l’un des défis majeurs de ce troisième millénaire, que peut faire l’outil numérique ? Le développement du digital est-il incompatible avec la nécessaire transition énergétique ou au contraire peut-il la servir ? La sobriété numérique est-elle la solution ? Et si oui, comment la mettre en œuvre ?

 

L’impact environnemental du numérique

Les émissions du numérique représentent actuellement entre 4 et 5 % des émissions mondiales. Cela pourrait sembler acceptable, mais c’est bien plus que l’aviation civile. Et surtout, ces émissions progressent de 9 % par an, et à ce rythme, la pollution numérique dépassera en 2035 la production de gaz à effet de serre (GES) émise en 2020 par l’ensemble des véhicules terrestres à moteur. L’évolution tentaculaire du numérique (vidéos en ligne, Internet des objets, 5G, etc.) le rend donc incompatible avec les prescriptions du GIEC qui commandent de maintenir sous la barre des 2 % la hausse des températures à l’horizon de la fin du siècle.

Comme le souligne « The Shift Project », think tank qui s’est donné pour objectif la réduction de la dépendance de l’économie aux énergies fossiles « Nous avons élevé notre monde numérique comme on n’élève pas une progéniture : sans le guider. Lui redonner les bases dont il a besoin pour être l’atout qu’il a toujours promis d’être nécessite de travailler et de calibrer ses deux sous-systèmes interdépendants : le système technique et le système d’usages ».

Face à ces constats, la majorité des penseurs du numérique considèrent qu’il est temps de basculer dans l’ère de la « sobriété numérique ». Mais comment faire ?

La sobriété numérique : quésaco ?

Pour les adeptes de la sobriété numérique nous devons désormais changer de paradigme et repenser l’innovation en passant du « faire parce que l’on peut » au « faire parce que cela nous est utile ». Il devient donc aujourd’hui indispensable d’évaluer pour chaque innovation programmée son coût environnemental. Et cela vaut en premier lieu pour tout ce qui touche au numérique, en incluant non seulement les systèmes techniques mais aussi et surtout les usages. L’utilisation des ordinateurs, smartphones etc., des centres de données et des infrastructures réseaux représente en effet 55 % de la facture énergétique du numérique dans le monde contre 45 % seulement pour leur production. Pour ne citer qu’un exemple, l’énergie pour regarder une vidéo de 10 minutes sur son smartphone, c’est 1 000 fois l’énergie consommée par le smartphone normalement. Malheureusement, toute la difficulté réside dans le fait que cette pollution due aux usages est invisible donc peu évidente à combattre en dehors d’une prise de conscience individuelle.

Ce que propose le concept de sobriété numérique, ce n’est absolument pas d’abandonner ou de déconstruire le numérique, mais d’inventer de nouvelles manières de le faire fonctionner pour aller vers un système plus épuré et des usages plus résilients.

De la boulimie digitale au détox, comment faire ?

Toujours selon « The Shift Project », il serait possible de ramener la consommation d’énergie du numérique à 1,5 % par an en adoptant la « sobriété numérique » comme principe d’action. Mais comment faire, alors même que le numérique est reconnu comme un levier de développement économique et social et que ses usages ne cessent de croître à l’échelle mondiale, même si la consommation numérique reste encore très concentrée dans les pays développés. Ainsi en 2018, un Américain possédait près de 10 périphériques numériques connectés et consommait 140 gigaoctets de données par mois contre un seul périphérique, et 2 gigaoctets pour un Indien.

Les recettes ne manquent pas et les adeptes du digital detox rivalisent d’imagination pour nous aider à réduire notre pollution numérique à titre individuel. Acheter les équipements les moins puissants possibles, en changer beaucoup moins souvent, éviter de trop stocker sur le cloud, éteindre son ordinateur et sa box, réduire le nombre d’emails envoyés et faire régulièrement le ménage dans sa boîte, limiter le streaming vidéo, refuser les objets connectés inutiles, passer moins de temps sur ses écrans… autant de conseils certes frappés du sceau de la sagesse mais difficiles à mettre en œuvre à l’heure où les fabricants ne cessent de nous appâter avec de nouveaux produits toujours plus performants. Pour mieux maîtriser nos usages, nous devons retrouver une capacité à interroger l’utilité sociale et économique de nos comportements en prenant conscience que nous sommes tous concernés.

De leur côté, les entreprises elles aussi peuvent agir. Elles ont un rôle clé à jouer et beaucoup à gagner dans la réduction de l’impact environnemental du numérique. Un des leviers est de penser en amont l’écoconception des appareils et des infrastructures numériques à chaque étape de leur cycle de vie, depuis l’extraction des matières premières qui composent les objets, jusqu’à leur élimination et leur recyclage en fin de vie. Un autre levier pour les fabricants de terminaux informatiques est de cesser de miser sur l’obsolescence programmée.

Les entreprises peuvent aussi choisir des outils moins polluants, avoir recours à des moteurs de recherche éthiques opter pour des data centers plus éco-responsables alimentés avec des énergies renouvelables.

Opter pour une relation plus sobre au numérique avec une pollution digitale moindre est une idée qui fait son chemin. Il ne s’agit pas de ne plus consommer de numérique mais de changer notre façon de le faire. Nous disposons aujourd’hui des outils de prévision et des compétences pour adapter nos systèmes numériques et nos usages aux contraintes environnementales qui s’imposent à nous à condition d’une prise générale de conscience à tous les niveaux. Les pouvoirs publics ont là aussi un rôle majeur à jouer pour encourager cette prise de conscience et nous inciter à une plus grande sobriété. La REF numérique se saisira de ce sujet pour indiquer les pistes à suivre.